mercredi 11 juin 2014


Sous le signe des Gémeaux



"Mais toute ombre en dernier lieu est pourtant aussi fille de la lumière et seul celui qui a connu la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence a vraiment vécu."
(Stephan Zweig, le Monde d'hier)

"Rien ne ressemble autant à une notion que son contraire." (Le paradoxe dans la poésie de Jules Supervielle, Jacques Allemand)

Dédié à Jacques Demy et Bernard Giraudeau



Nantes, le pont transbordeur détruit en 1958.




Le port de La Pallice à La Rochelle.


PREFACE

Mon premier contact avec l'univers de Jacques Demy remonte au début des années 80. Mais ce n'est ni Peau d'Ane ni rien qui ressemble de près ou de loin à une bonbonnière. Il s'agit probablement de deux extraits ou bandes-annonces qui passaient à la télévision. Dans le premier, des rats sortaient de toutes part d'un gâteau de mariage, dans l'autre une femme nue sous un manteau de fourrure entrait dans un magasin de télés vert glauque.


Le joueur de flûte (1971)

Une chambre en ville (1982)

Deux images plutôt troubles qu'à l'époque je n'ai bien entendu pas pu identifier mais que j'ai su retrouver plus tard. C'est le contraste entre la surface pastel de son univers et ce que j'avais pu en entrevoir si jeune de sombre, d'obscur qui m'a attirée vers ce réalisateur. Et ce d'autant qu'en 1978 il a adapté l'oeuvre culte de mon adolescence, La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda (sous le titre de Lady Oscar).

Les premiers films où j'ai vu jouer Bernard Giraudeau remontent également au début des années 80 et ont suscité chez moi une réaction de rejet virulente et épidermique. Les longs manteaux (scénario indigent sur personnages transparents = ennui total) a été une des pires expériences cinématographiques de ma vie, un véritable épouvantail pour de longues années. Quant aux autres films vus durant cette période, ils ont achevé de me donner une image détestable de lui à base de beaugossitude autosatisfaite et d'overdose de testostérone, d'adrénaline, de surboum et autres méduses bien collantes.









Une antipathie tenace qui s'est brusquement muée en son contraire lorsque j'ai découvert récemment le film Passion d'amour (qui date pourtant aussi du début des années 80) adapté du roman Fosca d'Iginio Ugo Tarchetti. Parce qu'il était réalisé par Ettore Scola que j'adore notamment pour la finesse de son observation de la nature humaine, j'ai surmonté mes préjugés et je l'ai regardé. En mettant en évidence quelques unes des (nombreuses) dualités identitaires de cet acteur, il m'a conduit jusqu'à cette réflexion sur les semblables qui s'attirent et les antipodes qui se touchent.


Passion d'amour est f[oscar]dien par excellence: roses qui soulignent l'éphémère de la beauté, maladies incurables, uniformes militaires seyants, amours passionnelles impossibles, inversion sexuelle, romantisme exacerbé...





Jamais plus toujours de Yannick Bellon (1976) est un magnifique poème cinématographique sur le temps qui passe et la mémoire, célébré aussi bien par Lévi-Strauss que par Pierre Nora. Il illustre la formule de Lavoisier "rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme". L'objet y joue un rôle fondamental qu'il soit recyclé à la poubelle ou dans une vente aux enchères. C'est ainsi que deux petits jeunes qui s'installent (Bernard Giraudeau et Marianne Epin) achètent un paravent à miroirs ayant appartenu à une actrice décédée. Ils le placent dans leur appartement décoré à la japonaise.


Jacques Demy et Bernard Giraudeau donc. Les réunir était une évidence. Parce qu'ils sont tous deux Gémeaux (5 et 18 juin), nés dans une cité portuaire du nord-ouest de la France avec l'océan, l'île de Ré ou Noirmoutier-en-l'île pour horizon. Parce qu'issus de milieux modestes, ils se sont rebellés contre le destin que leur père avait tracé pour eux dans le monde ouvrier au profit d'une carrière artistique librement choisie. Parce que le marin est une figure emblématique des films de Jacques Demy et que marin a été le premier métier de Bernard Giraudeau. Parce que le premier a pensé au second pour jouer Guilbaud dans Une chambre en ville et Orphée dans Parking, ses deux films les plus sombres et torturés. Parce que leurs couples respectifs, gémellaires tous les deux, ont gravité autour du même secteur du XIV° arrondissement de Paris. Parce que tandis que l'un a longtemps rêvé en rongeant son frein au bord du précipice, l'autre s'est engouffré dans les extrêmes jusqu'à finir par se brûler les ailes. A moins que ce ne soit le contraire. Parce qu'au final leur mort quasiment au même âge a été prématurée et tragique. 


 Une histoire profondément marquée par une tension entre la quête du même, du double, du semblable et l'irrésistible attraction de l'autre et de l'ailleurs


F.O


PREMIERE PARTIE

I 
" Mon signe du zodiaque est Gémeaux, je suis écartelé entre la joie et la tristesse, trop heureux dans le bonheur, trop malheureux dans le malheur. Il faut être ainsi pour avoir fait les Demoiselles et aboutir à Une chambre en ville." (Jacques Demy)
"Aussi loin de la noirceur absolue que du roman à l'eau de rose – ou plutôt en constant déplacement entre ces deux pôles –, l’œuvre de Jacques Demy est tout en tensions, ruptures, passages, hybridités, ambiguïtés ce qui en fait le sel et la subtilité. Véritable voyage dans les contradictions, elle oscille entre crêtes et creux de vague, entre puritanisme et haine des tabous, équivoque et franchise, maladresse et culot avec pour toile de fond l'importance fondamentale du désir, la transgression des interdits, la sublimation puis l'assomption progressive du corps, l'exploration des limites du genre." (Raphaël Lefèvre, Jacques Demy, le puritain malicieux)

Autoportrait de Jacques Demy (1949) avec en arrière-plan des bribes de texte renvoyant à son imaginaire ("La belle Hélène", "Du sang à la Une", "Série noire", "Paradoxe", "Double-sens et sortilèges")

II

De 1960 à 1988, Jacques Demy a réalisé douze longs-métrages auxquels il faut rajouter un téléfilm, ses courts-métrages réalisés dans les années cinquante plus quelques petits films d'animation antérieurs réalisés à l'adolescence. A partir des années quatre-vingt, il se lance également dans la photographie et la peinture.

Affiches des 13 longs-métrages de Jacques Demy (cinéma et télévision), du long-métrage collectif Les 7 péchés capitaux dans lequel il a réalisé le sketch de La Luxure et de 4 de ses autres principaux courts-métrages






















 III
Une chambre en ville traverse toute l'oeuvre créatrice de Jacques Demy. Au début des années cinquante, il pense en faire un roman dont il écrit les premiers chapitres. Dans les années soixante-dix, il tente d'en faire un film mais des désaccords avec les acteurs puis des difficultés de production bloquent le projet. Le film sort finalement en 1982 après la victoire de François Mitterrand car c'est sa belle-soeur qui le produit.


" Il y a peu de films que j'ai voulu comme celui-là. Peu de films que j'ai rêvé comme celui-là" (Jacques Demy)



IV

" Il fallait toujours se battre. Pour vivre, pour avoir un salaire décent ou pour garder son amour et qu'on en crève. On meurt d'amour, on meurt pour des idées, ce sont des gens passionnés et je voulais faire ce film sur la passion qu'on met dans sa vie jusqu'à l'absurde." (Jacques Demy)






Les combats de rue de 1955 entre grévistes des chantiers navals de Nantes et CRS reconstitués dans Une chambre en ville.

V
C'est la deuxième fois que Jacques Demy tourne l'intégralité d'un film à Nantes, sa ville d'origine. La première fois, c'était pour Lola son premier long-métrage (1960). 



Synthèse de toutes les facettes de Jacques Demy, Lola est une jeune femme dite "de mauvaise vie" (danseuse-entraîneuse dans une boîte à matelots, indépendante, mère célibataire, libre etc...) mais religieusement fidèle à la pureté de son premier amour rencontré quand elle avait 14 ans.


Le vrai nom de Lola: Cécile

Cécile Desnoyers rejoue l'histoire de Lola en tombant amoureuse à 14 ans d'un beau marin américain, Frankie
Cécile et Frankie sur le manège: l'ivresse du premier amour
VI
Dans Une chambre en ville, la blancheur de Lola a viré au rouge sang et au verdâtre glauque. C'est aussi son deuxième film entièrement chanté après Les parapluies de Cherbourg (1963). Mais là où Les parapluies de Cherbourg s'apparentent à une opérette ou une comédie musicale, Une chambre en ville s'apparente à l'opéra. En dépit de son caractère flamboyant, le film représente surtout la part souterraine et "serpentine" de l'oeuvre de Jacques Demy (tout comme son film suivant, Parking, beaucoup moins réussi).







VII
En 1989, des livres consacrés aux films traitant de la Révolution française étaient publiés en relation avec les fêtes du bicentenaire. En les feuilletant, je suis tombée par hasard sur des photos du film Lady Oscar réalisé par Jacques Demy en 1978, adaptation d'un manga mythique au Japon, La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda (1972).



Le film n'avait pas été distribué en France (il a fallu attendre 1997 pour qu'il sorte au cinéma). En revanche, le dessin animé, réalisé en 1979 (un an après le film de Jacques Demy) avait été diffusé pour la première fois à la télévision française en 1986. 


Véritable forêt de symboles, le générique montre notamment une rose blanche qui vire au rouge (images tirées d'un anime comic qui se lit de droite à gauche) tout à fait dans les tons du générique d'Une chambre en ville.



VIII
Déjà, dans l'un de ses premiers courts-métrages Le Bel Indifférent, adaptation en 1957 d'une pièce de Jean Cocteau, le rouge flamboyant dévorait le cadre et imposait à la fois l'amour pyromane et l'ambivalence sexuelle des personnages: " Un décor d'une beauté folle, tapissé par le sang du poète ou carrelé de cet azur qui donnait la fièvre à Rimbaud." (JL Godard)


L'invention de "l'homme-potiche" (un passant recruté lors d'un casting sauvage dans la rue et qui ne prononce pas un mot durant tout le film)




Le décor du Bel Indifférent (Bernard Evein)

IX
"Il est frappant de constater combien, parenthèse quasi accidentelle dans l'oeuvre de Demy, Lady Oscar en marque cependant un tournant. C'est là que pour la première fois l'émeute se substitue à la fête, là aussi que l'héroïne découvre la nécessité de la révolte, apprend à assumer sa nudité et la réalité physique de l'amour. Là surtout que -et le réalisateur n'avait aucun pouvoir pour modifier l'intrigue- le destin des amants débouche sur la mort." (JP Berthomé)

La mort d'Edith et de Guilbaud dans Une chambre en ville.
A cela, il faut ajouter qu'Edith, comme Oscar est d'origine aristocratique. Oscar est la fille d'un général et devient colonel, Edith est la fille d'un colonel (sa mère, jouée par Danielle Darrieux est d'ailleurs surnommée "la colonelle"). De plus elle transgresse les barrières de classe sociale en tombant amoureuse d'un ouvrier gréviste (Oscar tombe amoureuse de son domestique qui devient soldat et se sacrifie par amour pour elle.)






Le plan comparable à celui d'Une chambre en ville dans Lady Oscar (le dessin animé) est celui où Oscar et André sont inconscients suite à une explosion et qui préfigure leur union dans la mort.



X
" Cités de transit, parfois affublées de ponts transbordeurs, les villes portuaires peuvent être vues comme l'ancrage topographique évident de l'imaginaire transgenre, transfrontière et transgressif du cinéaste. A l'inverse des villes montagnardes repliées sur leurs terroirs, les ports sont par essence bâtis sur des zones frontières, ouverts à la circulation du monde. Le port est toujours le poste avancé qui appelle le mouvement, le voyage, le mélange, le métissage, l'altérité." (Serge Kaganski)


Dès son adolescence où il réalise de petits films d'animation le pont transbordeur est présent (au fond de l'image dans cet extrait d'Attaque nocturne.)



Jusqu'à son dernier film où le pont transbordeur de Marseille est reconstitué sur la scène de 3 places pour le 26 (1988)


Le magnifique générique des Demoiselles de Rochefort (1966) illustre combien le pont transbordeur incarne le passage d'une rive à l'autre, d'un monde à un autre. C'est aussi une métaphore du parcours de Jacques Demy dans la vie et au cinéma







XI
L'histoire de Jacques Demy est celle d'une passion contractée dès le plus jeune âge pour les arts plastiques et le spectacle: marionnettes, opérette puis cinéma. Une passion partagée par sa mère coiffeuse pleine de fantaisie, éprise de chansons et de couleurs.


Jacquot et sa maman (Jacquot de Nantes réalisé par Agnès Varda, 1990)



Le petit théâtre de Jacquot (Jacquot de Nantes)


Le petit cinéma de Jacquot (Jacquot de Nantes)
XII
L'oeuvre de Jacques Demy porte en elle cette ambition d'un cinéma total qui engloberait les autres formes d'art: peinture, poésie, musique, danse. A Nantes, il fréquente d'ailleurs les cours du soir de l'école des Beaux-Arts où il rencontre le futur décorateur de ses films, Bernard Evein. 


La galerie Lancien à Rochefort: les sachets de peinture éclatés au pistolet à la manière de Niki de Saint Phalle


Chez les jumelles on joue de la musique



Et on danse


XIII
Son père garagiste a tenté de s'opposer à sa vocation en l'envoyant dans un collège technique, mais sans parvenir à le détourner de son but. " Il a travaillé comme ouvrier dans le garage de son père où il était très malheureux. C'est sa fameuse anecdote: alors qu'il était en train de remonter un pneu et avait oublié de mettre la chambre à air, on lui a demandé à quoi il pensait et il a répondu: A Hollywood!" (Agnès Varda)

Le collège technique où s'est morfondu Jacques Demy (en noir et blanc dans Jacquot de Nantes)

XIV
C'est le réalisateur Christian-Jacque qui lui donne le moyen de réaliser son rêve de cinéma. De passage à Nantes en 1948, il visionne Attaque nocturne, un petit film d'animation réalisé par Jacques Demy dans le grenier du garage de son père. Il décide alors de le faire entrer à l'école technique de la photographie et du cinéma de la rue de Vaugirard alors que celui-ci n'a pas le bac en principe obligatoire pour rentrer dans cette école.

L'école de cinéma parisienne où Jacques Demy a fini par réussir à entrer (en couleur dans Jacquot de Nantes)

XV
Roland Cassard dans Lola est une sorte de double de Jacques Demy. Insatisfait par son emploi de bureau, il arrive systématiquement en retard et se fait renvoyer. Devenu chômeur, Il traîne son ennui dans sa ville de province (Nantes) en rêvant d'horizons lointains même si pour cela il doit se fourrer dans un trafic louche. Il échappe de peu au pire lorsque son commanditaire est arrêté.

Le premier titre de Lola était Un billet pour Johannesburg.

XVI
Tout le cinéma de Jacques Demy est parcouru par une tension entre la chambre et le port: des lieux d'enfermement et des lieux ouvrant sur l'ailleurs"Campé aux points de contact entre la terre et la mer, la France et le monde, il était logique que Demy devienne à la fois un grand cinéaste de la francité et du trans en tous genres." (Serge Kaganski)

Photo de Jacques Demy vers 1980


Jacquot de Nantes, reconstitution du cinéma miniature que Jacques Demy a installé chez ses parents.


XVII
Son premier court-métrage déjà, Les Horizons morts "trace une frontière fondamentale du cinéma de Jacques Demy qui tangue du repli à l'évasion, du désir de se fuir et celui de se trouver. Avec ce doute infini dont tous ses films seraient au fond agités: des horizons enclos de la rêverie ou de ceux éperdus du voyage, lesquels sont mortifères?" (Camille Taboulay)

Jacques Demy dans son miroir qui finira en mille morceaux (Les horizons morts 1951)
Jacques Demy à sa fenêtre (Les horizons morts 1951)


La fenêtre ou le miroir? (Les horizons morts, 1951)


XVIII
Par conséquent, l'œuvre de Jacques Demy est profondément tiraillée entre l'endogamie et l'exogamie. 
D'un côté, on trouve des personnages récurrents formant une seule et même famille (jusqu'à Model Shop en 1968).

Lola (Anouk Aimée) dans Lola
Lola (Anouk Aimée) dans Model Shop


Roland Cassard (Marc Michel) dans Lola
Roland Cassard (Marc Michel) dans Les parapluies.

XIX
L'endogamie s'accompagne d'une quête gémellaire, incestueuse et narcissique du double comme dans Les demoiselles de Rochefort (1966) et Peau d'Ane (1970). Maxence contemple le portrait-miroir de Delphine qui lui ressemble comme une sœur jumelle alors que le roi retrouve sa femme à travers le portrait de sa fille (jouées toutes deux par Catherine Deneuve qui joue aussi Delphine dans Les Demoiselles de Rochefort et Geneviève dans Les parapluies de Cherbourg).

Dans une première version des Demoiselles de Rochefort, le vertige du double était encore accentué par le fait que Guy (des Parapluies de Cherbourg) devenu l'un des forains devait rencontrer Delphine à qui il aurait dit "Vous ressemblez à quelqu'un que j'ai beaucoup aimé." Mais le faux bond de l'acteur à la dernière minute a modifié le scénario.
XX
Mais dans le même temps, l'univers de Jacques Demy est traversé par des "oiseaux migrateurs" en transit, forains, baladins, marins (voir chapitre XXV) et peuplé de personnages à l'identité hybride: bourgeoise autrefois danseuse (Mme Desnoyers dans Lola 1960), baronne autrefois putain (Mylène dans Trois places pour le 26, 1988), marin-peintre-poète (Les Demoiselles de Rochefort 1966), princesse-souillon (Peau d'Ane 1970), homme-femme (L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune 1972), femme-homme (Lady Oscar 1978).





XXI
La tension intérieur/extérieur est également morale. D'une part Demy est imprégné de son éducation catholique et manifeste notamment un goût pour l'ascèse symbolisé par le blanc purificateur. François Truffaut avait d'ailleurs songé pour Jules et Jim à mettre Jeanne Moreau dans un lit entre Jim et un amant joué par Jacques Demy, prétendant que seul son "air pur et innocent" de premier communiant pouvait compenser ce que la situation pouvait avoir de scabreux.

La chambre des Horizons morts, le film de fin d'études de Jacques Demy dans lequel il interprète le rôle principal


A l'opposé, Demy est attiré par la vie de bohème en relation avec son tempérament rêveur et artistique. Le mouvement hippie par exemple l'a profondément influencé ("nous ferons ce qui est interdit, nous fumerons la pire en cachette") ainsi que le poète maudit leader du groupe The Doors Jim Morrison avec lequel il avait noué une amitié.

Jim Morrison sur le tournage de Peau d'Ane où se mêlent influences du conte et influences hippies et psychédéliques.

Surtout il éprouve une véritable fascination mêlée de crainte pour les lieux de perdition ("J'ai toujours eu peur de sombrer dans la débauche! Mon côté puritain sans doute!"). Tripots, bastringues, bordels, backrooms, peep-shows, septièmes sous-sols de parking parfois repeints en rouge flamboyant.

La boîte à matelots des Parapluies de Cherbourg ne fait pas vraiment dans le pastel... (mais quel plaisir de casser cette stupide image fleur-bleue qui colle au film)



XXII
Sur le plan cinématographique, cette dualité se traduit par une fascination équivalente pour Robert Bresson,réalisateur au style épuré du Journal d'un curé de campagne et pour Max Ophuls, le réalisateur baroque du Plaisir (et de Lola...Montes). Lola, le premier film de Jacques Demy est évidemment dédié à Max Ophüls.






XXIII
Les chambres représentent la prison parentale d'où l'enfant doit s'échapper pour pouvoir vivre sa vie."C'est toujours la même chose. C'est réglé comme ça depuis des années. Et demain ça recommencera."; "Le fils n'est pas venu. C'est la première fois qu'il les laisse un dimanche." (Le sabotier du val de Loire 1955)

 

 
Dans Les demoiselles de Rochefort, le personnage d'Yvonne Garnier, la patronne du café de la place Colbert et mère des jumelles n'a pu s'échapper à temps et le regrette: " Je ne peux jamais sortir, je vis séquestrée dans cet aquarium moi qui était faite pour vivre au grand air, sur une plage au bord du Pacifique, écouter de la musique douce en lisant des poèmes." Elle fait d'ailleurs croire à Simon, perdu de vue depuis 10 ans qu'elle est partie vivre au Mexique.



Les filles d'Yvonne elles ne rêvent que de monter à Paris pour s'accomplir: " J'en ai jusque là, la province m'ennuie. Je veux vivre à présent de mon art à Paris" (Solange) A Paris moi aussi je tenterai ma chance. Pourquoi passer toute ma vie à enseigner des pas alors que j'ai envie d'aller à l'opéra?"(Delphine)





Même chose pour Marion, la petite employée en parfumerie de Trois places pour le 26 (1988). Elle ne rêve que de quitter son emploi et Marseille pour une tournée internationale dans le spectacle d'Yves Montand.







"Pourquoi faire des enfants si on ne leur donne aucune liberté ni de s'exprimer ni d'être ce qu'ils ont envie d'être, de faire ce qu'ils ont envie de faire? C'est quand même assez monstrueux..." (J Demy)

Peinture de Jacques Demy représentant Venice Beach à Los Angeles (1984) 

Photo de Jacques Demy prise à Los Angeles

 
XXIV
L'intrigue du deuxième film de Jacques Demy, La Baie des Anges (1962) est une métaphore de ce parcours transgressif du dedans vers le dehors: un modeste employé de banque sans perspective d'avenir, Jean Fournier est initié aux jeux d'argent par un de ses collègues, Caron (!) et y prend goût malgré l'opposition de son père qui le chasse de la maison.

 
De droite à gauche Jean Fournier et Caron le tentateur

 
"Le personnage clé du père de Jean Fournier est le défenseur d'une morale essentiellement sociale fondée sur le double respect du temps et de l'argent. A cette image paternelle d'un ordre dépourvu de fantaisie ou de passion s'oppose pour la rejeter la figure de Jean, reflet de son créateur, plein d'une affection excédée pour cette incarnation d'une autorité paralysante dont il est en train de rejeter la tutelle." (JP Berthomé)



XXV
"J'ai eu ma première conversation sérieuse avec mon père -et la dernière- vers l'âge de treize ans. Je voulais aller, moi au lycée Clémenceau en prévision de tout ce que j'avais envie de faire, et je voulais déjà faire du cinéma. Et il n'a absolument rien voulu entendre (...) je me suis engueulé, et après il n'y a pratiquement plus eu de conversation d'aucune sorte avec mon père." (J Demy).
De fait le père brille par son absence dans la plupart des films de Demy, centrés sur des mères célibataires ou veuves comme Lola, Mme Desnoyers, Mme Langlois, Mme Emery, Yvonne Garnier etc. 


Quand le père existe, il est indigne parce qu'incestueux ou castrateur, chassant son fils de la maison dans La Baie des anges (1962), obligeant sa fille à le fuir dans Peau d'Ane (1970), vendant cette dernière au fils d'un baron dans Le joueur de flûte (1971), l'obligeant à l'affronter en duel dans Lady Oscar (1978) quand elle ne couche pas avec lui sans le savoir (Trois Places pour le 26, 1988).








XXVI
Il y a cependant des exceptions mais elles sont exogames. Le bon père est celui qui vient d'ailleurs. 
Dans Le joueur de flûte (1971), c'est Mattio le baladin entouré de sa famille. C'est aussi Melius le juif, père spirituel de Gavin qui guide ses premiers pas, se réjouit de le voir s'éloigner, l'envoie loin de lui pour qu'il apprenne à devenir lui-même. 



Dans L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune (1972) le père s'est féminisé au point de porter l'enfant de sa femme dans son ventre.

Mais Demy s'est finalement autocensuré, l'accouchement se transformant en grossesse nerveuse.

XXVII
Les mères dans les films de Jacques Demy élèvent donc la plupart du temps leurs enfants toutes seules. Cet enfant est presque toujours une fille unique qui parvenue à l'adolescence ou à l'âge adulte devient une rivale car la mère,disponible, belle et séductrice refuse de s'effacer. Elle s'avère donc aussi défaillante que le père.


Mme Desnoyers est très sensible au charme de Roland Cassard et habille encore Cécile qui a 14 ans en petite fille (Lola 1960)



Mme Emery souhaite que Geneviève épouse Roland Cassard, tout en lui faisant les yeux doux (Les parapluies de Cherbourg 1963)


Mme Langlois est aussi sensible au charme de Guilbaud que sa fille Edith (Une chambre en ville 1982)



Mylène, ex-maîtresse de Montand a eu une fille de lui. Vingt-deux ans après, Marion qui ne connaît pas la véritable identité de son père, tombe amoureuse de lui (Trois places pour le 26, 1988)

XXVIII
Le Styx de Jacques Demy, c'est le passage Pommeraye à Nantes. C'est là que se situe un cinéma qu'il fréquente assidûment dans sa jeunesse et c'est là qu'il achète sa première caméra.


Le passage est filmé aussi bien sous son versant solaire et aérien (Lola 1960) que sous son versant glauque et souterrain (dans Lola également puis dans Une chambre en ville en 1982).

L'ange Cécile

Le diable Edmond

XXIX
L'ailleurs dans le cinéma de Jacques Demy est incarné essentiellement par les nomades de passage dans les villes: forains, comédiens ambulants et marins. 
Les forains sont représentés dans Les demoiselles de Rochefort (1966) et les comédiens ambulants dans Le joueur de flûte (1971).


Concert folk-rock hippie au Moyen-Age

Quant aux marins, ces militaires tout de blanc vêtus, ils constituent les véritables fils rouges de son oeuvre. Ils sont présents de son premier jusqu'à son dernier film, la plupart des intrigues se situant dans des villes portuaires ou balnéaires (Nantes, Nice, Cherbourg, Rochefort, Los Angeles, Marseille). Certains comme Frankie (Lola 1960, Model Shop 1968) ou Maxence (Demoiselles) sont des personnages à part entière.





XXX
Mais ces personnages trop libres sont menacés par l'obscurantisme et par la guerre, les deux ennemis jurés du Demy-monde. Dans Les parapluies (1963) et Les demoiselles (1966), la guerre est omniprésente tout comme dans Model Shop (1968) où l'on apprend la mort de Frankie, tué au Vietnam. Dans Le joueur de flûte (1971), Melius est brûlé par l'Inquisition.



XXXI
C'est dans Les parapluies de Cherbourg (1963) que les ravages de la guerre se font le plus sentir. Lorsque Guy revient d'Algérie où "le soleil et la mort marchent ensemble", il est estropié, amer, révolté. Il ne parvient pas à renouer avec sa vie d'avant, se cogne et se fait rejeter de partout. Mais cet aspect du film, le plus politique, est systématiquement passé sous silence au profit de la bluette inoffensive...


XXXII
Dans La baie des Anges (1962), une fois le Styx traversé, Jean se retrouve enchaîné à une femme fatale, joueuse invétérée, Jackie Demaistre (jouée par Jeanne Moreau). Sa vie n'est plus rythmée que par les montagnes russes de la roulette qui s'apparente vite à une descente aux enfers. 


La très suggestive robe de Jackie avec sa gigantesque fleur (vénéneuse?) placée au niveau du sexe.

Et pourtant et là réside toute l'ambiguïté du film et de la passion qui l'anime, Jackie ne dit-elle pas que la joie qu'elle éprouve au jeu n'est comparable à aucune autre joie? Et Jackie Demaistre n'est-elle pas le quasi anagramme de Jacques Demy?
La baie des Anges nous place au carrefour d'une contradiction fondamentale: le monde des vivants apparaît vide, plat et sans âme alors que le monde des morts porte en lui les grandes émotions et le génie créatif. Pour goûter à cette forme de jouissance, les personnages sont prêts à en accepter le corollaire inévitable, la déchéance, l'avilissement.



Le jeu est bien évidemment une métaphore du cinéma: "La baie des Anges met en scène la violence qu'il y a à être accroché au royaume des ombres, des spectres et des morts quand la famille, la vie, le travail, la société, la normalité, la raison nous convoque de l'autre côté, vers l'horizon lumineux des vivants. La baie des Anges est un grand film de vampires, cette forme de transfusion artificielle de la vie et du sang dont ont aussi besoin les artistes. (Hélène Frappat).




XXXIII
Néanmoins parfois, Jacques Demy au prix de l'un des ces ultimes revirements dont il a le secret trace une ligne de fuite par où ses personnages peuvent s'échapper in-extremis. " C'est à la charge des dénouements de dessiner soudain une ligne droite, un tracé qui brise la logique ressassante du cercle et semble conduire vers un ailleurs. Exemplairement, c'est le dernier plan de La baie des Anges (1962). Jackie rejoint Jean hors du casino, et ils se dirigent vers la mer et le ciel-l'horizon enfin. La caméra reste campée là où s'est déroulée l'action et les personnages s'éloignent, sortent du film par le fond, point de fuite par lequel on peut quitter les rondes, les manèges, les faux-semblants, la représentation, le cristal." (J.M Lalanne)


On retrouve ce schéma à la fin de Lola (1960), des Demoiselles de Rochefort (1966) et de Trois places pour le 26 (1988). Fins à l'optimisme néanmoins illusoire ou fragile comme le démontre Model Shop en 1968 ou la première version de la fin des Demoiselles dans laquelle Maxence finissait écrasé sous le camion qui emportait Delphine à Paris (Demy est le champion de la valse-hésitation sur la fin de ses films, conséquence de leur caractère hybride).

Signature de Demy, les ouvertures et fermetures de ses films se font le plus souvent à l'iris, un cercle.


XXXIV
Le parcours de Jacques Demy dans le monde du cinéma est tout aussi accidenté et tortueux que celui de Jean et de Jackie dans le monde du jeu. Dans les années soixante, certains de ses films rencontrent un grand succès dont Les parapluies de Cherbourg (1963) qui obtient le prix Louis Delluc et la Palme d'or au festival de Cannes. 




C'est l'époque où "vouloir le bonheur, c'est déjà un peu le bonheur" (Roland Cassard dans Lola). La foi dans ses rêves peut finir par leur donner réalité. C'est le cas de Lola qui retrouve son grand amour, Michel, revenu d'Amérique après des années d'absence,


C'est le cas de Madeleine qui à force de patience et de fidélité finit par épouser Guy dans Les parapluies


C'est le cas des personnages des Demoiselles de Rochefort (1966) lancés dans la quête de leur idéal masculin ou féminin et qui finissent par le rencontrer.


Seule Geneviève dans les Parapluies renonce à se battre pour garder son rêve en vie et perd la partie.




XXXV
La première fêlure provient de Model Shop tourné à Los Angeles en 1968 (d'où son titre alternatif "Lola in L.A"). C'est dans ce film, profondément mélancolique et désenchanté que certains des rêves les plus chers de Jacques Demy se fracassent. Le peep-show est d'ailleurs un avatar de l'enfer, déjà aperçu dans La baie des Anges.


C'est en effet la dernière fois qu'il tente de créer un univers balzacien de personnages récurrents (Lola, Michel, Roland Cassard, Jackie Demaistre etc.) C'est aussi la première et la dernière fois qu'il tourne aux USA: le film reçoit un accueil désastreux outre-Atlantique aussi bien du public que des critiques. En France, sa sortie est confidentielle. 

Lola dans Model Shop est totalement désabusée

XXXVI
Pourtant comme Lola, La baie des Anges et Une chambre en ville, Model Shop est un joyau qui mérite d'être découvert. Son échec aux USA provient d'un malentendu. Les studios souhaitaient que Demy réalisent une comédie musicale. Il leur a livré une oeuvre quasi documentaire sur le Los Angeles de 1968 partagé entre effervescence hippie et ombre portée de la guerre du Vietnam.







XXXVII
Preuve que Jacques Demy avait du flair: il souhaitait embaucher sur ce film un petit jeune encore inconnu mais plein d'avenir...


Jacques Demy a dû sûrement s'identifier à Harrison Ford qui faisait des travaux de menuiserie dans les studios de la Columbia pour vivre. Hélas la société de production lui a opposé un refus sans appel au profit d'un acteur plus "bankable". Mais Harrison Ford n'a jamais oublié ce qu'il devait à Jacques Demy, le premier à avoir cru en lui. 

XXXVIII
Cependant les coups les plus durs se situent surtout dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Projets avortés, films peu ou pas distribués en France, échecs commerciaux, difficultés de production... Demy touche le fond avec Parking en 1985, un film laid, glauque et torturé qui reprend une trame orphique qui lui est chère: outre Orphée et Eurydice, on retrouve Caron, le Styx et l'Enfer. Le tout transposé dans les années quatre-vingt où plane l'ombre de la drogue et du sida.




XXXIX
Néanmoins comme tous les Demy, Parking est hybride. D'un côté donc le contexte très lourd des années quatre-vingt dans lequel il s'enfonce irrémédiablement, de l'autre, l'héritage du mythe et de Cocteau. Si Peau d'Ane était la fille (certes bigarrée de Flower Power, de Pop Art...) de La Belle et la Bête, Parking est le fils (certes un peu raté...) d'Orphée et du Testament d'Orphée. Avec dans les deux cas la présence de Jean Marais qui joue dans Parking le rôle d'Hadès le dieu des Enfers, marié à sa nièce "Claude" Perséphone. A l'inceste s'ajoute donc l'androgynie des couples Hadès/Perséphone et Orphée/Eurydice: hommes efféminés et femmes masculinisées. C'est bien évidemment pour cette raison qu'il avait pensé au couple Bernard Giraudeau/Annie Duperey (voir deuxième partie)

L'esthétique des Enfers est l'aspect le plus réussi du film avec son contraste noir/blanc/rouge/ombres verdâtres et bleutées

Lola a le Demy-sang d'un poète ou l'hommage de Cocteau à son fils spirituel


XL
Demy a été souvent qualifié de cinéaste de l'audace. Je nuancerais néanmoins en ce qui concerne les problématiques transgenre. Les trois films qui abordent le sujet, L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune (1971), Lady Oscar (1978) et Parking (1985) sont ses moins bons films. Intéressants certes mais déséquilibrés. Une des raisons, c'est qu'empêtré dans ses contradictions, Demy est incapable d'aller jusqu'au bout de ses choix. Dans les trois cas, le pas en avant est aussitôt suivi de deux pas en arrière. 

L'accouchement de Marco termine à la poubelle au profit du retour "à l'ordre naturel des choses" (ouf la morale est sauve!). 

QUOI? Tous ces hommes enceints partout dans le monde, c'était du bidon? (Demy adore les calembours un peu fumeux cf la célèbre perm...à Nantes et le premier titre d'Une chambre en ville qui était Edith de Nantes)

La grandeur du personnage d'Oscar est totalement annihilée par le choix d'une actrice potiche (et godiche).

 Le plus beau poireau de France

Quant à la bisexualité d'Orphée à résonance autobiographique, elle est empreinte d'une lourde culpabilité: juste au moment où il embrasse enfin Calaïs (son ingénieur du son), Eurydice s'injecte une dose mortelle d'héroïne (reçue des mains de Bacchantes lesbiennes bien résolues à récupérer leur brebis égarée!)

De quoi refroidir l'ambiance, juste au moment où ça devenait intéressant!

XLI
Dans la réalité, Jacques Demy et Agnès Varda vivaient à ce moment là séparés et se livraient une véritable guerre froide de part et d'autre des numéros 77 et 88 de la rue Daguerre au point qu'Agnès Varda songeait même à faire son propre film sur Eurydice en forme de réplique cinglante à Demy. Miroir de la gémellité fracassée face à l'irréductible altérité (" chez Demy ce n'est pas la mort, poreuse, qui sépare Orphée et Eurydice mais la différence des sexes.")





XLII
L'ambivalence sexuelle d'Orphée-Demy trouve son aboutissement dans la chanson "Entre vous deux mon cœur balance" que Francis Huster interprète dans Parking. La chanson fait d'ailleurs allusion au signe astrologique de Demy comme dans la chanson des jumelles de Rochefort ("toi la vierge de mon cœur, toi mon gémeau venu d'ailleurs, vous êtes mes deux enfants de l'amour, vous êtes ma nuit et mon jour, pourquoi choisir?)
la voix d'Huster est une catastrophe mais Demy n'était plus en position de force quand il a fait ce film et Huster a exigé de chanter lui-même (aïe, aïe, aïe). Bien évidemment c'est à Jim Morrison que Jacques Demy pensait en écrivant le rôle puis à John Lennon, puis à David Bowie. Là encore le rêve s'est fracassé contre le mur de la réalité.



Si au début, j'ai beaucoup ri comme tout le monde en voyant les "prestations" de Huster aujourd'hui toutes ces dissonances me font beaucoup de peine. Surtout quand il prononce la phrase magique de Demy "il faut croire à la vie, il faut croire au bonheur" alors que ce film est si malheureux et si mortifère.


XLIII
Parking marque également l'aboutissement de la vision ambivalente que Jacques Demy a de la femme. Dès Lola, elle a deux visages antagonistes sortis tout droit d'une tradition religieuse patriarcale millénaire: celui de Marie et celui d'Eve, celui de la sainte mère et celui de la prostituée: " Est-elle pécheresse ou bien fille de roi? Est-elle vertueuse ou bien fille de joie?" (Maxence et Guillaume dans les Demoiselles). 
La traduction visuelle de cette bipolarité triomphe avec Peau d'Ane où l'héroïne est à la fois princesse et animal(e). 

 


puis avec Une chambre en ville où à la douce Violette s'oppose la sulfureuse Edith, racolant les passants nue sous son manteau de fourrure. D'un côté le bonheur paisible, sans surprise et familial, de l'autre la passion qui consume et dévore, imprévisible et jamais satisfaite, promise à l'anéantissement et à la mort.






XLIV
Une chambre en ville expose si crûment les affres d'une sexualité tourmentée et mortifère que le public est déconcerté. Certains de ses collaborateurs également. Ainsi Michel Legrand, compositeur de la plupart des films de Demy a refusé de faire celle d'Une chambre en ville en lui disant "ce n'est pas toi", un comble quand on sait que ce signifie cette oeuvre pour son créateur!! Et aujourd'hui encore, Legrand reste braqué et obtus, dénigrant systématiquement un film dont le seul tort est de déranger l'image lisse et rassurante que le public veut avoir de Jacques Demy.
La mise en pièces de l'univers acidulé et sublimé des années soixante débouche donc sur un échec commercial. Demy est incompris et moqué: " Le rendez-vous manqué du public fut une blessure profonde et marqua une cassure dans sa vie d'artiste." (Rosalie Varda)

Edmond (joué par Michel Piccoli), le mari d'Edith est un psychopathe qui cumule les tares: impuissance, jalousie, avarice, perversité (Il surnomme Edith qui dépend de lui financièrement "ma jolie pute" tout en la traitant de  "petite fille", encore une ambivalence bien malsaine). 


XLV
" Dans les derniers films de Jacques, Parking et Trois places pour le 26, on sent que quelque chose s'est cassé. Ils sont intéressants évidemment mais il leur manque cette étincelle. " (Catherine Deneuve)
" Après les échecs douloureux de ses derniers films, Jacques fut très seul. Il s'est réfugié dans la photo et a découvert la peinture." (Rosalie Varda)

Peinture de Jacques Demy (années 80)

XLVI
"Voir mon nom si jeune inscrit sur une tombe m'a donné le sentiment de la fragilité de l'existence." (Jacques Demy dans Jacquot de Nantes)
Les bombardements de Nantes en 1943 qui ont ravagé la ville ont encore renforcé cette prise de conscience de la mort inéluctable. Mais celle-ci a été considérablement précipitée par l'épidémie de sida des années quatre-vingt dont Jacques Demy a été l'une des victimes.



XLVII
Jacques Demy et Agnès Varda se sont rencontrés en 1958 au festival du court-métrage de Tours. Chacun venait présenter sa production Le Bel Indifférent pour Demy  et Du côté de la côte pour Varda qui venait d'accoucher d'une petite fille, Rosalie. L'année suivante, Jacques Demy s'est installé dans l'appartement-atelier d'Agnès Varda rue Daguerre. Ils se sont mariés en 1962. Leur fils Mathieu est né dix ans plus tard en 1972. Jacques Demy a adopté Rosalie qui à l'âge adulte est devenue la costumière de ses films. 
Jacques Demy et Agnès Varda se sont séparés au début des années quatre-vingt et se sont retrouvés au moment du tournage de Trois places pour le 26 que Jacques Demy lui a dédié.

Jacques D. photographié par Agnès V. au Brésil en 1969
Dans les années 60
A la fin des années 80

 
XLVIII
La force de Jacquot de Nantes réalisé par Agnès Varda en 1990 vient du fait qu'il raconte l'enfance de Jacques Demy alors que celui-ci est en train de mourir.



XLIX
Jacquot de Nantes est aussi en creux l'histoire d'un couple qui après une longue séparation s'est retrouvé et uni face à la maladie et à la mort. 
La peinture de Jacques Demy qui ouvre le film
L
Jacquot de Nantes est en effet le premier et le dernier film qu'ils ont fait ensemble. Jacques Demy écrivait ses souvenirs pendant qu'Agnès Varda les mettait en forme et les réalisait. Film-transbordeur qui m'a permis de passer sur l'autre rive et de découvrir le cinéma d'Agnès Varda.



" A Varda, dont l'oeuvre est depuis l'origine hantée par la mort, Jacques Demy fait le cadeau du plus joyeux de ses films et du plus vibrant de confiance en la vie. A Demy dont le sable coule trop vite entre ses doigts, Varda offre d'arrêter le temps, de réinventer cette enfance dont il n'a jamais perdu la nostalgie, de devenir ce film qu'il n'aura plus le temps de faire. Jacquot de Nantes défie la mort et dit plus fort que tout l'amour de la vie et du cinéma". (JP Berthomé)



LI
"Il y a du sacré, dans Jacquot de Nantes, parce que l'amour y tend vers l'universel, vers l'union mystique. Il y a de la dévoration dans le rapport de Varda à Demy, mais parce que cette dévoration est exigée par le don de son corps, consenti par Demy. Il abandonne ses dernières forces à la caméra, mais c'est pour que celle-ci le fasse à son tour film, lui qui n'a jamais rêvé d'autre chose. Et derrière cette caméra qui le crucifie et le promet à l'éternité à la fois, l'épouse, la soeur, la mère, la compagne." (JP Berthomé)

Le corps qui se dégrade et la mer éternelle



"Dans la difficulté, dans ce chemin très dur qu'il parcourt, qu'est-ce que je pouvais faire d'autre sinon être au plus près de lui? Au plus près serré comme on dit." (Agnès Varda)
Des plans magnifiques jalonnent ainsi le film, des plans rapprochés de son visage, de ses mains et de ses yeux, des plans comme autant de caresses et de témoignages (on en retrouve aussi dans les Plages d'Agnès, réalisé en 2008).

L'oeil du cinéaste
L'art comme moyen d'immortaliser la vie par essence éphémère, c'est aussi comme cela que se termine le dernier épisode de Lady Oscar: " Elle a traversé nos vies comme un éclair et pourtant son souvenir restera gravé en nous comme cette rose de soie qui ne se fanera jamais."




LII
Mathieu Demy a commencé sa carrière d'acteur dès le plus jeune âge en tournant dans les films de sa mère. Deux rôles se détachent particulièrement. 
Documenteur, tourné à Los Angeles en 1980 raconte sous couvert de fiction la douloureuse séparation d'Emilie Cooper/Agnès Varda et de Tom Cooper/Jacques Demy du point de vue de cette dernière. Le petit Mathieu alors âgé de 8 ans joue son propre rôle (bien qu'il s'appelle Martin Cooper dans le film).

La famille Cooper, double cinématographique de la famille Demy (Documenteur, Americano)

En 1988, Kung-Fu Master est une variation sur la relation gémellaire qui unit Agnès Varda à Jane Birkin depuis le portrait miroir Jane B. par Agnès V. (1987). 


A partir d'une idée de Jane Birkin, Agnès Varda a l'idée de mettre en scène leurs deux familles (outre Mathieu Demy âgé de 14 ans, on retrouve Charlotte Gainsbourg âgée de 16 ans et Lou Doillon âgée de 4 ans). Le père brille (encore) par son absence ce qui permet à "Mary-Jane" (40 ans) de vivre une histoire d'amour avec "Julien" (14 ans) avant que la société ne lui rappelle brutalement l'interdit. 

Ca sent un peu l'inceste par procuration...ou le conflit intérieur (via une vertigineuse mise en abyme Sabine Mamou (la mère de Mathieu/Martin dans Documenteur) apparaît à la fin du film en tant que mère de Julien pour porter plainte contre Mary-Jane).

Des films mêlant inextricablement fiction et réalité qui ont contraint plus tard Mathieu Demy à une mise au clair (voir chapitres sur Americano qui se présente comme une suite de Documenteur).

LIII
1998, sortie du film Jeanne et le garçon formidable d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau.


Le film est un hommage à Jacques Demy: c'est une comédie musicale qui mélange histoire d'amour légère et réalité sociale douloureuse. Certains numéros chantés et dansés citent directement ses films. La filiation est également généalogique: Mathieu Demy joue le rôle principal, celui d'un jeune homme séropositif qui meurt du sida, comme son père ce qui à l'époque est encore un non-dit public (Agnès Varda ne révèlera la véritable cause du décès de Jacques Demy qu'en 2008 dans Les plages d'Agnès).



LIV
En 2011, sort le film Tomboy de la réalisatrice Céline Sciamma. Mathieu Demy joue le rôle du père de Laure, petite fille de 10 ans qui à la faveur d'un déménagement et le temps d'une fin d'été s'invente une autre identité et devient Mickäel. Un thème transgenre tout à fait dans la filiation des films de Demy-père. Et pour cause: Céline Sciamma n'est autre que l'arrière-petite-cousine de Jacques Demy.






LV
En 2012 sort sur les écrans le premier long métrage de Mathieu Demy, Americano, hanté par des souvenirs d'enfance, le cinéma de ses parents et la question de la filiation (les principaux partenaires de Mathieu Demy dans le film sont Géraldine Chaplin et Chiara Mastroianni).Le film joue sur les deux héritages et entremêle pure fiction et éléments autobiographiques comme dans les films d'Agnès Varda.



LVI
Martin Cooper/Mathieu Demy âgé de 40 ans apprend que sa mère est morte. Il renoue alors avec les lieux de son enfance à Los Angeles, filmés dans Documenteur (1980) qu'Americano cite abondamment façon film dans le film. Mais si dans le film d'Agnès Varda, la mère prénommée Emilie Cooper était jouée par Sabine Mamou, dans le film de Mathieu Demy elle a bien la voix d'Agnès Varda. Par bien des côtés, Americano aurait pu s'intituler Comment j'ai tué ma mère (Agnès Varda qui était interdite de plateau a d'ailleurs reconnu de le film était un moyen pour son fils de se réapproprier des images qui lui avaient été volées dans son enfance).


Sabine Mamou à gauche, Agnès Varda à droite
LVII
Documenteur, d'une tristesse insondable, hanté par l'exil, l'errance, la douleur, le manque, la mort est une sorte d'autoportrait impressionniste de la réalisatrice réalisé au moment où elle se séparait de Jacques Demy au début des années 80. Alors qu'il était rentré en France, ulcéré par le refus des américains de lui accorder une seconde chance après l'échec de Model Shop, elle était resté à Los Angeles avec Mathieu alors âgé de 8 ans (alias Martin dans le film).

Venice Beach à Los Angeles devenue le symbole d'une impasse existentielle dans la vie de Demy (cf le sens interdit) comme dans celle de Varda.


Emilie Cooper (Sabine Mamou) et son fils Martin (Mathieu Demy âgé de 8 ans) dans Documenteur



Emilie nue se contemplant dans un miroir coupé en deux moitiés désaccordées: le climax du film.



LVIII
Si Américano est indiscutablement hanté par Agnès Varda et son cinéma, Jacques Demy n'est pas oublié puisque une certaine Lola, ancienne amie de sa mère vient se glisser dans l'histoire. Pour la retrouver, Martin franchit la frontière américano-mexicaine (entre le cinéma de sa mère et celui de son père?) et parvient jusqu'à la boîte de striptease où celle-ci se produit, tout à fait à la manière du héros de Model Shop (qui est rappelons-le la suite de Lola). 



Martin doit remettre à Lola la clé de l'appartement de sa mère qu'elle lui a légué ainsi que ses peintures. En réalité, ce sont celles de Jacques Demy (dont certaines déjà citées). Avant de mourir, Jacques Demy a légué Lola à Mathieu Demy et à lui seul alors qu'il partage l'héritage de tous ses autres films avec sa demi-soeur, Rosalie.



Sur le trajet entre Los Angeles et Tijuana, la voix de Jim Morrison sur L.A Woman of course...






LIX
Mars 2014
Nous sommes tous les trois au sommet de la tour Montparnasse. De là, bien visible, le cimetière.

Je dis à Mazigh que Jacques Demy est enterré là. "Et si on allait le voir?" me dit-il. Alors, on redescend et dix minutes avant la fermeture, on parvient jusqu'à sa tombe.



"Avec ses fleurs, ses feuilles séchées, sa pergola, sa petite chaise, ce petit coin de cimetière a quelque chose de merveilleux. Il y règne une atmosphère de conte, à la façon de Peau d'Ane. Un lieu de mémoire, de vie et de cinéma." (Jean-Max Colard)





LX

" Chacun dans son ailleurs est enfermé
Perdu dans son rêve impossible
Ayant de l'amour fait la cible
Chacun dans son ailleurs est enfermé
Chacun dans son ailleurs fait de fumée
Court après un rêve impossible
Aux pieds d'une fille impassible

[...] Ailleurs est plus loin que toujours
Plus loin que jamais la lointaine
Qui regarde toujours hautaine
Un ailleurs qui se meurt d'amour
Plus loin, ailleurs, jamais, toujours
Tournent comme une romance
Entre raison ivre et démence
Jamais, plus loin, amour, toujours
Ailleurs est un autre univers."

Jacques Demy


Oscar au bord de la mer, en transit d'un monde (la monarchie) à l'autre (le peuple et la Révolution)


DEUXIEME PARTIE

LXI
" Je suis double. L'un est là pour embêter l'autre, l'un détruit ce que l'autre entreprend, sans que je sache lequel." (Bernard Giraudeau à propos de son signe astrologique)
Doté d'une personnalité à la fois créatrice et destructrice, hyperactive et contemplative, murée en elle-même et avide de liberté, masculine et féminine, sombre et solaire, généreuse et égoïste, courageuse et prompte à la dérobade, franche et pudique, entière et adepte des faux-semblants, énergique et dépressive, rebelle et docile, dure et (hyper)sensible, forte et fragile, autoritaire et en recherche d'autorité, à la conquête du monde et en quête de sens, Bernard Giraudeau a passé l'essentiel de sa vie à se chercher tout en se fuyant. Une quête d'identité qu'il a effectué dans de grands espaces et des scènes de théâtre, au coeur de la forêt équatoriale et au sommet de la cordillère des Andes. Mais une quête tourmentée, longtemps figée au stade infantile, véritable enfer pour lui-même et pour son entourage. Ce sont les épines d'acacia dans sa poitrine qui l'ont fait grandir d'une seule traite, qui l'ont fait "passer des ténèbres à la sagesse" avant qu'elles ne se referment une fois pour toutes sur leur proie.

"Moi qui aimait les déserts, avec l'infini des robes minérales, je savais impossible ma retraite en cette austérité. Pourtant, quelque chose accrochait le ventre et vous sommait d'ouvrir les bras au soleil. Il faut être soudain poreux pour aimer. La terre se donne. Si elle repousse, c'est qu'on a fermé quelque chose en soi." (Les dames de nage)


LXII
" Les autres officiers et moi-même nous sommes des êtres frustes, vulgaires. Fosca est cultivée, elle a un esprit délicat, subtil. Dès que je vous ai vu je me suis dit: voilà le type d'homme que Fosca aimera. Vous êtes beau, et sensible. Malheur à ceux qui viennent au monde avec la marque de ce péché originel." 


Passion d'amour réalisé en 1981 par Ettore Scola grave magistralement dans le marbre les tourments d'un homme qui, à 34 ans, était alors au faîte de sa jeunesse et de sa beauté. Une beauté quasi surréelle parce que déjà hantée par la mort. Il l'avait frôlée à plusieurs reprises à la fin de son adolescence et une chiromancienne lui avait prédit qu'il allait mourir jeune. "Un homme solaire et inquiet."; "On voyait l'ombre de la mort sur son visage et en même temps il était lumineux."

LXIII
Le film est l'adaptation d'un roman aux résonances autobiographiques de Iginio UgoTarchetti. Il ne put achever celui-ci, emporté.... à tout juste 30 ans par la tuberculose.

Tarchetti s'est dépeint aussi bien dans le personnage de Fosca que dans celui de Giorgio Barchetti (qui à une lettre près est son nom de famille).

LXIV
Passion d'amour se déroule au XIX° siècle dans le Piémont italien. Un jeune et fringant capitaine de cavalerie, Giorgio Barchetti est affecté dans une garnison isolée au coeur des Alpes. A son grand désespoir, il doit s'éloigner de sa belle maîtresse, Clara qui est mariée et a un enfant.


Mais dans sa nouvelle affectation, il fait la connaissance d'une jeune fille de son âge, Fosca ("obscure"). Celle-ci vit quasiment cloîtrée car frappée à la fois par une terrible laideur et une maladie potentiellement mortelle. 


Fosca est bouleversée par la beauté de Giorgio mais aussi par sa sensibilité si semblable à la sienne et totalement insolite chez un homme de ce temps et de ce milieu. Elle tombe passionnément amoureuse de lui et révèle sa force de caractère hors du commun (prodigieuse Valeria d'Obici!). En effet ses sentiments se manifestent de façon intense, opiniâtre, douloureuse et oppressive au travers de crises d'hystérie particulièrement terrifiantes. 


Après une longue lutte interne entre répulsion instinctive et attraction irrésistible, Giorgio finit par découvrir et accepter en lui un sentiment d'une intensité supérieure à tout ce qu'il a vécu jusque-là.


 Mais cette passion lorsqu'elle se concrétise finit par les détruire tous les deux.




LXV
Ettore Scola choisit Bernard Giraudeau pour jouer le rôle de Giorgio Barchetti après avoir rencontré près d'une cinquantaine de comédiens différents: " Immédiatement, le courant passe entre les deux hommes: le scénario renvoie Bernard à ses propres interrogations sur la beauté." (Bertrand Tessier).
Bernard Giraudeau est très surpris voire incrédule d'avoir été choisi par l'un des maître du cinéma italien alors qu'à la même époque il ne tourne en France que des grosses productions populaires à succès "Scola, très psychologue, a dû comprendre qu'intérieurement j'étais plus angoissé, plus fragile et plus violent que je ne le laissais paraître" (B.G)



LXVI
La beauté et son contraire, la laideur occupent une place centrale dans le film. Mais là où l'histoire s'avère profondément originale et moderne, c'est que ces deux notions sont sexuellement inversées. La beauté qui est d'essence féminine s'incarne dans un corps masculin alors que la laideur, attribuée traditionnellement au masculin (de la Belle et la Bête à Cyrano de Bergerac en passant par Quasimodo et Esméralda) s'incarne ici dans un corps féminin.



LXVII
Plus l'histoire progresse, plus la nature féminine de Giorgio se révèle: "Le cheminement de Giorgio a été pour moi une expérience extrêmement douloureuse. C'était très difficile d'accepter cette évolution. Giorgio est passif, il ne dit rien, il ne fait rien, il subit l'autre." (BG)


Bien évidemment, Ettore Scola ne lui a pas attribué ce rôle innocemment: " Les séducteurs ont toujours une part importante de féminité en eux. Sur le tournage, je m'amusais à l'appeler "mon actrice préférée." (Ettore Scola)

LXVIII
La mue est achevée quand Giorgio, atteint des mêmes manifestations hystériques que Fosca est réformé de l'armée. L'hystérie est traditionnellement associée aux femmes, hystera signifiant utérus. 




LXIX
Le second thème majeur du film est l'incompatibilité entre le bonheur et la passion. Au début du film, Fosca refuse de se montrer de peur d'être rejetée par Giorgio. Ils dialoguent par livres interposés qu'il fait monter dans sa chambre. Parmi eux La Nouvelle Héloïse de Rousseau devient un véritable sésame. Fosca a souligné en effet une phrase lourde de sens dans le livre (voir Jackie Demaistre dans la première partie): " Les passions les plus douloureuses procurent une jouissance qui supplée au bonheur." Comment ne pas songer à Truffaut et à cette phrase récurrente dans son oeuvre: "vous aimer est à la fois une joie et une souffrance."

Dans le manga de la Rose de Versailles (dont Lady Oscar est une adaptation), le comte de Girodelle (qui a demandé la main d'Oscar) se moque d'André en lui suggérant de lire La nouvelle Héloïse qu'il juge "enfantin". Après l'avoir lu et s'y être reconnu dans son amour impossible pour Oscar, André pense qu'"il n'y a des amours qui ne sont unies que par la mort."


LXX
Troisième thème fondamental du film: la sexualité mortifère. Fosca avec son visage d'épouvante et son corps tourmenté est une cousine pas très lointaine du Nosferatu de Murnau et du Cri de Munch. 







Elle s'aggripe à Giorgio, le prive peu à peu de sa force vitale, le vampirise. Plus le film progresse, plus celui-ci s'affaiblit et s'obscurcit, finissant par s'enrouler dans sa cape noire à la manière d'une grosse chauve-souris.





LXXI
Elle finit par l'entraîner avec elle dans le monde des ténèbres et même par l'absorber complètementAlmodovar dans son court-métrage en N et B "L'Amant qui rétrécit" (Parle avec elle 2002) illustre cette angoisse latente d'être avalé par le sexe féminin à la façon de l'origine du monde de Courbet. C'est cette crainte qui a entraîné la chasse aux sorcières au Moyen-Age car selon le Maleus Maleficarum "toute sorcellerie vient des passions charnelles qui dans les femmes, sont insatiables."


Quant à Fosca, sa laideur l'a tenue à l'écart des hommes puis l'a rendue malade lorsqu'elle a été flouée par un escroc qui s'est enfui le jour de ses noces avec sa dot. Depuis, la sexualité lui est interdite sous peine de mort. C'est justement pour cela qu'elle passe outre avec Giorgio avec les mêmes conséquences que dans La Belle au Bois dormant"Le jour de ses 16 ans, elle se piquera le doigt avec un fuseau et elle en mourra."





LXXII
" J'aurai dû être marin toute ma vie, pas acteur. Je suis un marin acteur." (Le Marin à l'ancre) Aussi (sur)doué pour la gymnastique intellectuelle et l'expression artistique que pour le travail manuel ou les exploits sportifs Bernard Giraudeau a eu plusieurs vies et autant de métiers ou d'occupations différentes. Outre les deux professions déjà citées (de loin les plus importantes), il a été contrôleur à la chaîne, colleur d'affiches, fabricant de colliers et de bracelets, vendeur de placards publicitaires, manutentionnaire, danseur, karatéka, alpiniste, parachutiste, réalisateur...

Les marins perdus (2003) réalisé par Claire Devers d'après le roman du même nom de Jean-Claude Izzo. Un bateau à quai qui symbolise l'impasse existentielle dans la vie de trois hommes de mer. La réalisatrice a engagé Giraudeau sans connaître son passé de marin. Celui-ci infléchit certains passages du film qui prennent une résonance autobiographique.


LXXIII
Et puis il y a l'écriture "ce désir d'enfance d'écrire au monde". Il griffonne sur des carnets de notes durant les années de marine nationale comme durant la période de vedettariat.


Son talent d'écrivain n'éclate au grand jour que dans les années 2000 quand la maladie le contraint à l'ascétisme et à l'introspection. Comme Proust qui a toujours su lui résister puisqu'en qu'en dépit de ses efforts il n'est jamais parvenu à terminer A la recherche du temps perdu. Plutôt irritant quand on est un perfectionniste.

LXXIV
Entre 2001 et 2009, Bernard Giraudeau a publié cinq livres: une correspondance (Le Marin à l'ancre), un recueil de contes pour enfants (Les contes d'Humahuaca), un recueil de nouvelles (Les Hommes à terre) et deux romans Les dames de nage et Cher amour. A cela il faut rajouter les deux bandes dessinées réalisées d'après ces mêmes ouvrages avec le dessinateur Christian Cailleaux: R97-Les hommes à terre (2008) et Les longues traversées publiées à titre posthume en 2011.
Des livres à forte teneur autobiographique bien que les héros portent d'autres noms tels que Théo Laurens (R97) ou Marc Austère et ses amis Michel et Diego (Les dames de nage).

"Je pense parfois en t'écrivant que je ne suis qu'un marin d'encre et que toi, mon ami, le marin à l'ancre, il n'y a que ton corps qui soit ancré à Saint-Jean."

" Il y a des ports qui se cachent. ils se barricadent en concessions privées, ils se replient, se ferment.. Ils se portifient. Ils sont portifères." 
"Elle était riche d'un passé tumultueux, hésitant. Elle avait la souplesse d'un animal et la liberté offerte. Elle semblait, en ces instants une vague heureuse, épuisée, dirait Camus, qui s'abandonne sur la grève. Elle était femme des turbulences et cherchait un abri. Elle était rieuse et douloureuse à la fois, c'est à dire doulourieuse."

"Je vous écris pour prolonger l'instant, en garder une trace, tordre le cou à la fugacité, à l'oubli, à l'impermanence, ceci sans succès bien sûr puisque c'est vouloir figer l'éphémère et j'aime l'éphémère, nul n'est parfait."

LXXV
Le contenu et le style de ses livres est à l'image de sa personnalité: varié, contrasté, marqué par des ruptures de rythmes et de tons, des passages d'un monde à un autre, d'un type de récit à un autre "Mais comment fait-il, Bernard Giraudeau? Comment parvient-il à passer en quelques lignes de l'horreur à la beauté, d'un cruel réalisme à la poésie, du rire aux larmes, du vaste monde à la loge d'un théâtre, d'Anouilh à Magellan, des choses qui fâchent aux choses qui enchantent?" (Bernard Pivot à propos de Cher amour)



LXXVI
L'évolution personnelle de Bernard Giraudeau est perceptible à travers ses romans. On bouge tellement d'un lieu à l'autre dans Le Marin à l'ancre que l'on finit par avoir le tournis. L'univers se réduit à des sensations ou des impressions furtives. Les faits les plus traumatisants et/ou les plus sordides sont exposés avec une crudité suffocante. Un certain fatalisme (inaptitude au bonheur, à l'amour etc.) teinté d'angoisse imprègne le tout. A l'autre bout du spectre, Cher amour est ample, lent, approfondi, réflexif, contemplatif, perméable, doux, sensible et ouvert à l'espoir. 






LXXVII
Bernard Giraudeau est né à La Rochelle le 18 juin 1947. Son père qui est militaire a été prisonnier en Allemagne de 1940 à 1945. Puis il a été affecté à Berlin au début de la guerre froide avant de s'engager dans les guerres coloniales d'Indochine et d'Algérie. Entre ses engagements, il tient une épicerie puis vend des automobiles. Fuyant ou absent, "toutes fenêtres closes sur la pudeur" puisque "communiquer était impudique" (Le Marin à l'ancre). 
Sa mère, femme au foyer est issue d'une famille huguenote ayant trouvé refuge dans ce fief du protestantisme depuis l'édit de Nantes. D'une autre façon que le père, elle n'est pas vraiment là non plus " Maman était quelqu'un d'un peu absent, qui a toujours vécu dans son monde. Elle ne posait pas de questions." (Elizabeth Giraudeau). L'enfance de Bernard Giraudeau est solitaire (ses frères et sa soeur sont beaucoup plus jeunes que lui).
Je n'ai jamais eu de photos d'enfance nettes. Toutes furent prises avec cet appareil, qui laisseront toujours mes premières années de vie dans le flou. (Les dames de nage)

LXXVIII

C'est au croisement des deux influences parentales que se situe son passage chez les éclaireurs unionistes, des scouts protestants qui lui donnent le goût de l'aventure. 


Deux traits de son caractère s'affirment à cette occasion: son goût pour le commandement (il était toujours le chef "des troupes") et un comportement volcanique et rebelle qui lui vaut le totem de "Taurillon furieux".

" Je jure que j'ai cru, une nuit, au débarquement des contrebandiers sur les plages de l'Atlantique. Sur les pieds nus des pirates l'écume était phosphorescente. Un Long John Silver donnait rudement des ordres et maniait un grand coutelas. Un type avec un bandeau tenait un fusil. Il scrutait les dunes en s'attardant dans notre direction. Grouillez-vous les gars, y'a du danger, crachait-il tout bas mais assez fort pour être entendu, y'a mon nez qui me dit qu'on est peut-être pas tout seuls cette nuit. Dimitri a repéré un campement de l'autre côté des dunes, des mouflets qu'il a dit. Si je les prends, je les noie comme des petits chats." (Les dames de nage)

Jim et Long John Silver, les héros de l'un des premiers livres d'aventures dévoré par Bernard Giraudeau 


LXXIX
Outre Stevenson, deux écrivains de marine nourrissent l'imaginaire de l'enfant et de l'adolescent: Joseph Conrad et Herman Melville.

R97, les hommes à terre p 45
Les Hommes à terre, Billy, nouvelle, pp 85-110
Plus tard, il y aura d'autres de ces écrivains navigateurs ou écrivains voyageurs ou écrivains aventuriers: Rimbaud, St-Exupéry, Kerouac, London etc.






LXXX
Quand il ne bivouaque pas avec les éclaireurs sur l'île de Ré ou dans le marais poitevin, il s'évade sur les quais du port de commerce de la Rochelle entre grumes (troncs d'arbres) et conteneurs:

"Tu te retrouves à dix ans sur le port de la Pallice à regarder le nez en l'air, les grumiers d'Afrique ou du Brésil. Ca sent le bois, ça sent là-bas. Tu voudrais déjà aller sur le pont où flotte un pavillon panaméen. Le soleil avant de disparaître allume les bois rouges et la rouille des coques. Tu as déjà vu les grandes grues des quais, Roland? Le soir, elles s'immobilisent. Elles ressemblent à de gros insectes en attente. Il  y a une odeur de cuisine grasse, d'effluves de pétrole, de peinture. Cette odeur-là tu la reconnaîtras partout, la même odeur ou presque sur tous les bateaux du monde. Tu vois qu'il y a de quoi nourrir l'imaginaire. Tu as dix ans et tu es déjà parti." (Le Marin à l'ancre)

Autre lieu-clé du quartier de la Pallice: le boulevard Emile Delmas situé juste derrière les docks, passerelle entre le port et la ville. La nuit tombée il se transforme en boulevard de la Soif.

"Tu as dix ans et tu passes avec ton vélo sans lumière sur le boulevard de la soif. C'est encore le port. Il y a des bistrots, des bordels. Tu roules lentement, le coeur battant. Tu scrutes l'interdit. Il y a des dos enfumés, des gueules qui se retournent sans te voir. Des filles qui collent, qui rient. Tu as dix ans et tu regardes. Un type sort pour dégueuler. Tu as honte qu'il te voie. Hoquets et cascades lie de vin.
Qu'est-ce que tu fais là, petit? Tu cherches ta mère? Ginette, qui c'est le gamin?
Je m'en tape du gamin, ferme la porte et essuie-toi.
Tu verrais ta gueule en rouge et bleu sous les néons. L'Eden, le Caraïbe, le Bambou Bar. Il est tard et tu files à la maison." (Le Marin à l'ancre)


LXXXI
Issu d'une lignée de marins (sous marinier, pêcheur, cap-hornier) Bernard a la mer et le voyage dans le sang, des rêves de liberté plein la tête et refuse viscéralement d'aller à l'usine vers laquelle il semble destiné depuis qu'il a été orienté en collège technique en sixième.
15 ans, il quitte le collège pour entrer à l'Ecole des apprentis mécaniciens de la flotte de Toulon (dite aussi école des mousses ou école des arpètes) dont il sort premier en 1963 ce qui lui permet de choisir son embarquement.


En 1964 à 17 ans, il embarque donc pour son premier tour du monde à bord du navire école des officiers de la marine nationale, le porte-hélicoptères R97 dit La Jeanne d'Arc. Il est mécanicien spécialiste en turbine-diesel et chaudière, tout en bas de la hiérarchie (d'où le surnom péjoratif de "bouchon gras" en référence au chiffon utilisé par les mécaniciens pour éponger les taches d'huile). 



LXXXII
Cependant, il découvre très vite un mode de vie éprouvant, très différent de celui qu'il s'était imaginé. Il passe ses journées à fond de cale, enfermé dans la salle des machines dans le bruit et la chaleur (plus de 40°). Le manque d'isolation l'empêche de dormir (sa cabine est juste au-dessus de la salle des machines). La promiscuité est pesante (ils sont une soixantaine à occuper le même poste).

Il a également oublié le fait que la marine est une partie de l'armée. Il est soumis à une discipline de fer, inspecté tous les jours, obligé de se plier aux pires corvées. 

C'est d'ailleurs en les récurant qu'il déniche le premier tome d'A la recherche du temps perdu de Proust, coincé dans la tuyauterie. 

LXXXIII
En plus de tout cela, il est le plus jeune et le plus frêle de l'équipage. Il a du mal à trouver sa place dans un monde d'hommes grossiers, brutaux et alcoolisés. Il se replie sur lui-même et n'est proche que de ceux qui comme lui écrivent des poèmes ou lisent de la littérature.
Tous les néophytes (surnommés "la "bleusaille") subissent des brimades. Un jour, il est victime d'une tentative de meurtre par pendaison. Celle-ci est interrompue par un second maître qui étouffe l'affaire. Cet événement longtemps tu laissera des traces. 




LXXXIV
Les longues traversées constituent l'essentiel de son quotidien et celui-ci peut être très sportif notamment lors des typhons...






Les escales dans les ports sont d'autres moments de hautes turbulences. Certes, il y a des excursions, du shopping mais il y a surtout des virées de groupe dans les bars et les bordels qui tournent parfois au drame. 

Lors de son second tour du monde il se fait braquer en sortant d'un restaurant de Manille et croit que sa dernière heure est arrivée. Le déséquilibré le ramène jusqu'au bateau, le canon du revolver enfoncé dans son dos (Cher amour)

LXXXV
C'est au cours de ce premier tour du monde qu'il connaît ses premières expériences sexuelles. A la fréquentation des prostituées, s'ajoutent des "amours" de passage sans lendemain possible. Dans les deux cas c'est un désastre affectif qui achève de le transformer en handicapé des sentiments.
D'un côté la satisfaction compulsive des bas instincts dans des conditions sordides et humiliantes. De l'autre un grand amour idéalisé avec une femme rêvée seule à pouvoir partager son intimité ("concept contre la solitude" selon les propres termes de BG que l'on retrouve en couverture des BD). En conservant ce mode de fonctionnement dissocié bien après l'armée, il s'empêche de connaître une relation satisfaisante avec une femme réelle. Elles finissent toutes par le quitter à cause de son détachement, de son indifférence, de son mutisme ou de son caractère invivable: " Ce n'est pas quelqu'un avec qui on pouvait rester. On n'arrivait pas à le cerner. On ne savait pas si l'on comptait. On était là et puis voilà. Il n'était pas câlin. Il ne disait rien. Il était bloqué. Insaisissable. Ailleurs." (Frédérique Tirmont)




LXXXVI
Le point de non-retour est atteint lorsque ,furieux d'être réduit à une "machine-outil", il manque étrangler une prostituée à Kobé. Seule l'intervention d'un camarade l'arrête dans son geste meurtrier. Dans les années et les décennies qui suivent, c'est contre lui qu'il retourne cette violence et là encore, il faut des interventions extérieures pour l'empêcher de commettre l'irréparable. 
De là découle une peur d'aller fouiller en lui-même qui ne le quittera plus et l'entraînera dans une fuite en avant sans issue.

"J'ai peur de l'inexplicable et de l'inexpliqué. J'ai peur un jour de perdre la raison totalement, irrémédiablement. J'ai peur de ces moments où je ne me contrôle plus, où j'échappe à moi-même." (Lettre à Philippe Giraudeau).

LXXXVII
La folie criminelle revient comme une obsession dans la filmographie de Bernard Giraudeau:


Dans cette adaptation d'Hécate et ses chiens de Paul Morand datant de 1982, Giraudeau joue le rôle d'un attaché consulaire pris au piège d'une passion pour une prédatrice perverse et insaisissable. Peu à peu il est gagné par la jalousie et la folie furieuse au point de sombrer dans la même criminalité pédophile qu'elle. Le film est inégal et maladroit mais il possède une réelle atmosphère grâce à sa musique et l'utilisation des labyrinthiques ruelles de Fes.

Dans Ce jour-là de Raoul Ruiz (2003) il joue un tueur échappé de l'asile qui se transforme en chevalier servant au contact d'une jeune fille aussi "dérangée" que lui. Au lieu de l'assassiner, il s'en prend à tous ceux qui lui veulent du mal.
Le film décalé et surréaliste rappelle un peu Délicatessen avec sa loufoquerie, sa poésie, son étrangeté, sa dureté sous-jacente (le monde cruel des capitalistes contre deux innocents aux mains pleines.) et ses acteurs typés (dont Rufus qui joue dans les deux films).


Quant à Je suis un assassin de Thomas Vincent (2004), son titre annonce le programme. Le personnage joué par Giraudeau tue d'abord par procuration avant de sombrer peu à peu dans la folie (pour changer...) et de tuer pour de bon.

LXXXVIII
S'il repart néanmoins à bord de la Jeanne d'Arc pour un deuxième tour du monde (cette fois en tant qu'agent de sécurité du navire), c'est qu'il a signé un engagement pour cinq ans avec la marine nationale et qu'il est coincé. Il est néanmoins beaucoup plus revendicatif et rebelle qu'avant. 


Il sait en effet qu'il dilapide sa jeunesse et que son avenir n'est pas dans la marine: " Dans l'enclos de l'armée vivent des âmes qui peu à peu se dessèchent. Quelques-uns et je fais mon possible pour être de ceux-là, tentent de sortir de ce sommeil malfaisant. Nous luttons contre ce sommeil troublé par des règles absurdes qui abaissent l'être. Non! Ce n'est pas la vie et la place d'un homme."




Après la Jeanne d'Arc, il embarque à bord de la frégate Duquesne (qui reste à quai) puis du porte-avions Clemenceau. Là, il explose. Feignant (ou non) un début de démence, il est interné en psychiatrie militaire et réformé le 23 novembre 1966.


LXXXIX
Néanmoins son histoire avec la Jeanne d'Arc n'est pas terminée.



En 2004, quarante ans après son premier tour du monde, Bernard Giraudeau est de retour sur la Jeanne d'Arc pour une traversée cathartique. Auréolé de son titre d'écrivain de marine, il a le statut honorifique de capitaine de frégate. A ce titre il peut naviguer sur n'importe quel bâtiment de la Royale (surnom de la marine nationale dont le siège se trouve rue Royale). Evidemment, c'est la Jeanne d'Arc qu'il choisit. Il dort dans la chambre de l'amiral, face à la mer et demande à monter tout en haut du mât pour filmer le passage du canal de Suez. 




Néanmoins il descend aussi dans la salle des machines là où tout a commencé...




XC
L'identification est telle que lorsque la Jeanne d'Arc est mise au rebut en mai 2010, il envoie un message à ses anciens camarades réunis pour l'occasion "Je suis dans la dernière ligne droite, comme La Jeanne. Elle c'est fini et moi ça va pas tarder". De fait il mourra un mois plus tard.
Ce lien charnel, organique entre un homme et une machine féminisée nourrit l'histoire de l'art de Jacques Lantier et la Lison, la locomotive de La Bête humaine de Zola à Théodore et Samantha l'ordinateur dans le film Her de Spike Jonze. Avec pour toile de fond la déshumanisation, la solitude et la folie: " Ce furent des années bousculées par la découverte d'autres terres, une jeunesse frappée sur l'enclume avec un mélange de fascination pour la beauté du monde et la violence des hommes, un apprentissage pendant lequel l'amour avait les ailes coupées. Il fallait une féroce envie d'aimer la vie pour ne pas être définitivement blessé." (Cher amour)




XCI
La réforme de Bernard scandalise son père qui considère cet abandon comme un désaveu personnel. Les relations avec son fils se tendent d'autant plus qu'il découvre que celui-ci a quitté son poste de contrôleur à l'usine SIMCA où il l'avait fait entrer. Exaspéré, il le chasse de la maison en lui disant qu'il ne pourra revenir que le jour où il aura trouvé un vrai travail, répétant en cela ce que son propre père lui avait fait subir quand il était jeune (lui même avouera peu avant de mourir le sentiment d'avoir raté sa vie).

"Simca, le royaume de l'aventure pour une jeunesse avide de grands espaces." Telle est l'ironique slogan qu'il écrit à la craie sur son établi.

XCII
Complètement paumé, Bernard Giraudeau erre quelques temps dans la ville, s'essayant à divers petits métiers entre lesquels se glissent de multiples aventures, des lectures dans les bistrots, une fréquentation assidue de la cinémathèque et des boîtes de nuit. Là encore, il comprend qu'il doit rapidement trouver une issue ("Ce n'était pas là que j'écrirais le roman de ma future existence. Il était hors de question que ma vie soit une imitation.")

Il a découvert le plaisir de monter sur scène (déguisé en Sheila) à l'occasion des fêtes de noël  organisées à bord de La Jeanne d'Arc

XCIII
Jusqu'au jour où il se fait embaucher à la maison de la culture de La Rochelle en tant que mécanicien. Mais très vite, sa sensibilité entre en résonance avec celle de l'équipe. Il commence à interpréter de petits rôles mais il est encombré par sa démarche chaloupée de marin et des difficultés d'élocution. Il est alors envoyé chez Colette Milner, la fondatrice du conservatoire de danse de la Rochelle. Il se met à la danse classique avec un acharnement perfectionniste, trois-quatre heures par jour (alors qu'au départ on lui demandait de prendre deux cours par semaine!). Il fait aussi du cheval, de l'escrime, du piano et prend des cours d'articulation. Bref, il change de peau, il se réinvente sous une autre forme pleine de créativité et de grâce.



 
Seul son âge trop avancé (20 ans) empêche Bernard Giraudeau d'entamer une carrière de danseur professionnel. En revanche il orientera ses frères vers le même parcours. L'un deux, Philippe deviendra chorégraphe à Londres.


XCIV
"Nous étions la seule ville, avec Paris et Lyon, à faire une classe de garçons. Elle avait du succès, car ceux qui venaient étaient souvent confrontés au refus de leur famille, de leurs amis, voire même de la société ! Ils étaient donc plus motivés que les filles. Durant ma carrière, j'ai vu 70 garçons faire une carrière de danseur professionnel". (Colette Milner)

Mais Colette Milner est bien plus qu'une professeur de danse pour Bernard Giraudeau. C'est une mère de substitution qui incarne à elle seule l'esprit de mai 1968, à des années-lumière de ce qu'il a vécu jusque là. Sa maison est un refuge ouvert à tous à la manière de La maison de papier (Françoise Mallet-Joris) ou de La clé sur la porte (Marie Cardinal). Bernard y trouve un second foyer dans lequel il reste trois ans. Pour remercier ceux qui l'hébergent, il effectue de petits travaux, jardine et cuisine. Son cadet de huit ans Philippe devient un autre habitué de la communauté et part faire le conservatoire avec le fils de Colette Milner. 
Toute sa vie, il s'appuiera sur des femmes initiatrices (voire quelque peu Pygmalion) qui l'aideront à s'accomplir de Colette Milner à Anne-Marie Métailié son éditrice en passant par Annie Duperey.


Colette Milner aujourd'hui entourée des photos de Bernard Giraudeau prises à l'époque où il vivait chez elle


La Locandiera de Goldoni à la maison de la culture de la Rochelle. Au centre Bernard Giraudeau, à gauche Colette Milner.

XCV
En 1971, il monte à Paris où il décroche son premier rôle dans la pièce de théâtre boulevardière de Jean Cau Pauvre France où un jeune garçon tente de cacher son homosexualité à son père. Puis il intègre le conservatoire d'art dramatique d'où il sort premier (encore...) en 1974 à la suite d'une interprétation mémorable du monologue de Figaro.






XCVI
La Comédie-Française s'offre à lui mais il refuse d'y entrer par rejet des institutions et peur d'être enchaîné à un nouvel engagement de longue durée. Il se tourne vers des pièces de théâtre du répertoire littéraire et vers la télévision et le cinéma qui lui ouvrent leurs portes. On l'aperçoit quelques secondes dans La poursuite implacable de Sergio Sollima (1973) mais ses véritables débuts au cinéma ont lieu dans Deux hommes dans la ville de José Giovanni (1973) avec Delon et Gabin.

La poursuite implacable où il joue le jeune homme ensanglanté

Deux hommes dans la ville au premier plan à gauche

XCVII
Alors qu'avec le talent qu'il avait on pouvait s'attendre à ce qu'il fasse une carrière flamboyante au théâtre, cela n'a pas tout à fait été le cas. Il a surtout joué dans des pièces contemporaines d'Anouilh, de Giraudoux, de Carrière, de Schmitt (La guerre de Troie n'aura pas lieu, La Répétition ou l'Amour puni, L'aide-mémoire, Le libertin, Becket ou l'Honneur de Dieu etc.) ou bien dans des adaptations d'oeuvres littéraires (Les liaisons dangereuses).
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce sous-emploi. Tout d'abord il souffrait du complexe de l'autodidacte et donc d'une autocensure inconsciente vis à vis des grands textes (d'autant qu'avec son perfectionnisme maladif, il pensait ne jamais être assez bien). Ensuite il avait la réputation d'être ingérable à cause de son caractère volcanique et de son désir de tout contrôler. Enfin son image légère au cinéma lui a nui aussi au théâtre: " Avignon [dans lequel il n'a jamais joué], on en prend la mesure dans ces moments là, comme jamais, n'est pas le festival de tous les grands comédiens de France".(Armelle Héliot)
Il n'aborde les grands classiques qu'en 2005 avec Richard III de Shakespeare mais il n'a le temps que de donner quelques représentations à La Rochelle et à Angers avant d'être hospitalisé car son cancer récidive comme par hasard juste à ce moment là et il crache du sang sur la scène.



XCVIII
De manière encore plus flagrante qu'au théâtre, sa carrière au cinéma ne s'avère pas à la hauteur de son talent. 
A la fin des années soixante-dix et dans la première moitié des années quatre-vingt, il joue d'abord dans des films commerciaux qui mettent en avant soit son allure de jeune premier et son pouvoir de séduction soit ses qualités physiques et sportives. Soit le mélange Delon + Belmondo. Pour Giraudeau, ces films sont un moyen de vivre une adolescence par procuration mais il s'en détourne très vite de peur d'être enfermé dans un seul type de rôle. 

Waouh! Super canon mon prof d'allemand! (La Boum, 1980 de Claude Pinoteau). Gnan-gnan à souhait.
Viens chez moi j'habite chez une copine de Patrice Leconte (1981), sympathique comédie satirique sur deux trentenaires particulièrement immatures!
Les spécialistes de Patrice Leconte (1985), sorte de super disneyland du film d'action avec Gérard Lanvin qui a fait un triomphe et aurait pu déboucher sur 25 clones si Giraudeau n'avait pas mis le holà .

Les longs manteaux (Gilles Béhat, 1986) tourné en Argentine. Une sorte de western parc d'attraction d'une désolante vacuité qui s'est ramassé en salles. Le film est le point de départ de la passion de Bernard pour l'Amérique du sud et de façon plus générale pour les voyages lointains dans les grands espaces.

XCIX
Soucieux de casser cette image trop lisse,Bernard Giraudeau recherche en parallèle des rôles plus sombres non sans difficulté. 
Ainsi au moment de réunir la production du film Rue Barbare (1983) la directrice de l'unité cinéma d'une chaine de télévision tique sur le nom de Giraudeau "Lui en ouvrier? Vous n'y pensez pas! Giraudeau, c'est le jeune homme de bonne famille qui a raté son bac!"
Gilles Béhat le réalisateur du film lui rétorque alors "Savez-vous quelle a été la vie de Bernard avant qu'il devienne acteur?" 

Pas difficile pourtant de deviner le mécano-marin derrière l'acteur
Violent et glauque, le film libère en effet le fauve qui sommeille en Giraudeau et montre de lui un côté plus sombre et plus crade. Mais il ne va quand même pas très loin. Certes rescapé d'un gang, Chet est en réalité un chevalier blanc parti à la rescousse des "petites filles" enlevées par l'ignoble Hagen (joué un Bernard Pierre Donnadieu au sommet de sa forme).


C
En effet cette recherche de rôles plus consistants se heurte à des contradictions. Il a développé un rapport ambigu à son image. D'un côté son physique avantageux l'encombre et le fait douter de son talent, de l'autre il fait tout pour se mettre en valeur y compris dans les films où il malmène sa belle gueule.

Dans Le ruffian (1983), il interprète un ancien pilote de formule 1 devenu paraplégique suite à un accident. Cet handicap en fait une proie facile et le condamne à une certaine passivité. Néanmoins son personnage est bien sous tous rapports.


Dans Rue Barbare où il se fait sérieusement amocher il avait quand même veillé à ce que le chef-opérateur braque en permanence sur lui un projecteur de 250W recouvert de gélatine bleue, histoire de bien mettre en valeur ses yeux. Pffff!
Dans Poussière d'ange (Edouard Niermans, 1986) un film noir où il joue le rôle d'un flic alcoolique, il encaisse avec anxiété le virage brutal d'une apparence et d'un jeu dépourvu de tout clinquant. Cependant là encore, son personnage se ressaisit très vite au nom de la défense de la veuve et de l'orphelin.
Enfin dans L'homme voilé (Maroun Badgadi, 1987), il interprète un médecin ayant basculé dans la vengeance criminelle suite à ses quatre années passées dans l'enfer de la guerre du Liban. Mais une fois de retour à Paris, les retrouvailles avec sa fille, la bien-nommée Claire (Laure Marsac) l'entraînent rapidement sur la voie de la rédemption et du retour à la vie. 

CI
Durant cette période il a eu une occasion en or de changer une fois pour toutes de statut et de donner un nouveau tour à sa carrière mais il l'a sabordée en se dérobant au dernier moment alors que le film qui lui était proposé correspondait pourtant à ses aspirations profondes.
En lisant Le Marin à l'ancre, je me suis demandée pourquoi il n'avait jamais joué dans un film de Bertrand Blier tant les affinités avec son univers me paraissaient évidentes. Or c'est d'abord à lui que Bertrand Blier avait pensé pour le rôle d'Antoine dans le film Tenue de soirée après le suicide de Patrick Dewaere. Dans un premier temps Bernard Giraudeau accepte la proposition croyant que le film serait une farce mais lorsque Bertrand Blier lui lit le script, il lui oppose un refus sans appel et sans explications. Un peu plus tard celles qu'il donnera relèvent de la pure mauvaise foi.

Ce n'est pas tant le fait de jouer un homosexuel qui posait problème (Bernard Giraudeau en a interprété un certain nombre) que le fait qu'il s'agissait d'un être dominé, humilié et manipulé. Là ça coinçait vraiment car il ne supportait pas de passer pour un faible ce qui au final était un aveu de fragilité.

CII
Il lui faut attendre dix ans et son propre film Les caprices d'un fleuve pour voir des réalisateurs de films d'auteur s'intéresser enfin à lui. Néanmoins le type de rôle qu'on lui propose est un peu toujours le même: celui du prédateur, dominant dans le jeu de pouvoir, rôle dans lequel il excelle car il ressemble à une part de lui-même. Il peut à la fois briller et en même temps montrer la fragilité sous-jacente de ces personnages sans prendre trop de risques.
En 1995, Patrice Leconte devenu entre temps un réalisateur de films beaucoup plus ambitieux lui offre un second rôle marquant dans Ridicule, celui de l'abbé de Vilecourt, un débauché dont la langue assassine divertit une cour de Versailles frivole et dissolue à la veille de la Révolution. Il en oublie cependant que sa position ne repose que sur le bon plaisir du roi qui le brise au premier faux pas.


En 1999 François Ozon lui offre le rôle de Léopold dans Gouttes d'eau sur pierres brûlantes (1999) d'après une pièce de Fassbinder quelque peu autobiographique qui étudie (comme souvent chez lui) les rapports de domination/soumission ici entre quatre personnages enfermés dans un appartement dont les fenêtres ne s'ouvrent pas. 

Mieux vaut ne pas être claustrophobe. Le film est étouffant malgré quelques pauses humoristiques.
Léopold est à la fois un grand prédateur pervers, tortionnaire domestique et quasi-maquereau et un être souffrant angoissé par la vieillesse et la mort, désireux de rester en enfance (il joue aux petits chevaux, il danse...) 
Sous sa férule, un véritable harem où toutes les sexualités sont représentées: hétérosexualité avec Anna (Ludivine Sagnier), bisexualité avec Eva (Anna Thomson) qui a changé de sexe pour Léopold et homosexualité avec Frantz (Malik Zidi).






CIII
La même année, il tourne dans Une affaire de goût (1999) réalisé par Bernard Rapp. Ce film raconte l'histoire de Nicolas, un jeune homme un peu paumé qui tombe sous l'emprise de Frédéric, un grand patron pervers et narcissique (pour changer!) qui veut en faire un clone de lui-même. Pour cela, tel Pygmalion, il va le modeler à son image afin de vivre une nouvelle jeunesse par procuration.

Vous ne trouvez pas qu'on se ressemble de plus en plus?


Je veux que nous ayons le même palais, les mêmes papilles, le même odorat. Désormais, nous partageons les mêmes phobies alimentaires.

Derrière cette relation sado-masochiste passionnelle, un non-dit et un interdit majeur, celui de la relation homosexuelle, suggérée entre autre à l'aide de phrases équivoques (du genre "Je lirai dans vos yeux que nous partageons le même plaisir" ou "C'est la première fois que je tolère quelqu'un dans mon intimité".) L'issue ne peut être que tragique, un meurtre (ou suicide par procuration).

Comme chez Hitchcock, Rapp filme une scène de meurtre comme une scène d'amour avec un Frédéric qui s'offre littéralement à la lame du couteau.
CIV
Comme Jacques Demy, Bernard Giraudeau a vécu sa jeunesse à une époque où l'homosexualité était un tabou qui pesait des plombes. Dans la marine, elle était impitoyablement réprimée ce qui n'empêchait nullement celle-ci de s'exercer en secret. L'un des héros des Dames de nage est un ancien marin Marco réformé de l'armée pour cette raison. Débarqué brutalement au Chili il survit en se prostituant, travesti en fille, sous le pseudo de Marcia, et souhaite réunir l'argent pour se faire opérer. Marc Austère et Marcia deviennent très proches, ce dernier frôle la limite avec elle mais ne la franchit pas sans qu'on sache exactement si c'est parce qu'il n'en a pas envie (c'est ce qu'il prétend) ou si c'est parce qu'il s'autocensure (ce qui semble être beaucoup plus vraisemblable et lui-même a l'honnêteté de se poser la question). Cette attitude ambiguë de fascination-répulsion est exactement celle de Bernard Giraudeau. D'un côté, il aime exprimer cette part de sa personnalité, de l'autre il met toujours beaucoup de barrières physiques et psychiques quand il interprète ce genre de personnage (voir Tenue de soirée). Dans la vie, idem. Sa quête assez obsessionnelle du double entraîne fatalement ce genre d'attirance qu'il finit soit par sublimer soit par torpiller (ah cette interview sur la chaîne KTO en 2009 où il dit à un moment "j'aime regarder les filles...et aussi les mecs mais je ne suis pas homo.")

Le grand pardon (Alexandre Arcady, 1981)

Le fils préféré dans lequel il joue le rôle du frère homosexuel de Gérard Lanvin (Nicole Garcia, 1994)


CV
Globalement insatisfait par les rôles qu'on lui donne dans le cinéma français et désireux de passer derrière la caméra, Bernard Giraudeau se met à la réalisation de films de fiction et de documentaires pour la télévision (dont les carnets de voyage tournés aux quatre coins du monde). Il réalise deux longs-métrages pour le cinéma qui reflètent ses obsessions intimes: l'Autre (1991) adapté du livre d'Andrée Chedid et Les caprices d'un fleuve (1995).




CVI
L'Autre (film aujourd'hui introuvable) qui se situe dans un pays oriental indéterminé est l'histoire d'un vieil homme Simm qui après un tremblement de terre tente de sauver un jeune occidental enseveli sous les décombres. 

"-Que penses-tu de la mort?
- La mort, la vie... Ca ne peut pas se séparer, ça se regarde ensemble."

"-Depuis que je suis ici Ben avec la mort dans le dos, c'est étrange comme la vie est devenue...comment t'expliquer?...Avant, je n'aurais jamais osé dire: J'aime la vie. Maintenant, je le dis. Je le crie au fond de moi."

"Si nous parlons Jeph, c'est parce que la terre est une, aujourd'hui. De plus en plus."



CVII
Les caprices d'un fleuve atteignent le sommet du paradoxe puisque avec ce film Giraudeau invente le métissage incestueux. 


Jean-François de la Plaine son héros librement inspiré de la vie du chevalier de Boufflers est un noble qui trois ans avant la Révolution française est obligé d'aller s'exiler au Sénégal parce qu'il a tué en duel un proche du roi Louis XVI. Il devient gouverneur de la colonie de Gorée, plateforme du commerce triangulaire et entame une liaison avec une signare (reine mulâtresse marchande d'esclaves)  alors que sa maîtresse est restée en France. 




Peu à peu, il perd ses certitudes et ses repères d'occidental comme le montre l'évolution de son rapport au miroir.






Un roi trafiquant lui offre en cadeau une petite esclave peule de dix ans que Jean-François nomme Amélie et qu'il élève comme sa fille. 



Un échange de regards qui se substitue au miroir


Sauf que devenue grande, il tombe amoureux d'elle et réciproquement. Fille, soeur, épouse et mère.

Amélie, lit de mon âme (Les dames de nage)

Alors qu'il doit retourner en France pour être jugé par la Convention, elle meurt en accouchant de leur fils. Jean-François revient au Sénégal pour faire sa connaissance.


CVIII
Oeuvre très personnelle, Les caprices d'un fleuve illustre les contradictions de son réalisateur. Fasciné très jeune par les horizons lointains et les couples mixtes, arpenteur du monde, amoureux passionné de l'Afrique noire et de l'Amérique du sud Bernard Giraudeau a fantasmé la filiation métissée dans son oeuvre littéraire comme cinématographique: " C'est ça l'amour, c'est ça le couple, c'est ça l'avenir, le métissage, l'avenir du monde, c'est le métissage, moi mon film est uniquement là-dessus, il est sur le métissage".
Cependant, dans la vie il a fait exactement le contraire. Ses deux enfants sont issus de sa relation avec Annie Duperey, son gémeau, son clone, son double. Même taille, même âge, même silhouette, même sourire, même métier, même façon de se présenter au public, même caractère indépendant. Frère et soeur siamois, l'union incestueuse parfaite: " J'ai toujours eu envie dans mes rêves de coucher avec ma soeur. J'ai toujours été incestueux.".
"On avait un côté gémellaire". Franchement ça ne se voit pas du tout!


CIX
C'est justement à partir de la naissance de ses enfants dans les années quatre-vingt que Bernard Giraudeau va fuir cette situation étouffante qu'il a lui-même créé (car c'est lui qui a poussé Annie Duperey à vivre en couple avec lui et à avoir un enfant alors qu'elle ne voulait pas en entendre parler au départ).Voyages, raids, tournages tout est bon pour être le plus loin possible de la famille et de son quotidien domestique qu'il perçoit comme asservissant. Attitude qui reproduit exactement celle de son père, stratégie d'évitement pour ne pas être trop directement confronté aux besoins affectifs des enfants en bas âge. Et comme Annie Duperey manque de repères en matière de couple et de famille (elle a perdu ses parents à l'âge de huit ans, a été séparée de sa soeur etc.) elle supporte cette situation un certain nombre d'années.
Lorsque qu'elle se décide à le quitter, elle aura pourtant les plus grandes difficultés à le décramponner de son rêve d'harmonie familiale. Alors que dans la réalité il est soit absent soit invivable et qu'il refuse toute communication et toute introspection il ira déménager juste au-dessus puis dans la rue juste à côté, incapable de couper définitivement le cordon pendant un certain temps. 

"Bernard aimait construire des fenêtres. Quand elles étaient finies, ils les ouvrait pour partir." (Philippe Giraudeau) Annie Duperey finira par devenir la seule propriétaire de la maison construite par Bernard dans la Creuse. Toutefois avec le recul du temps, cette maison à laquelle elle reste viscéralement attachée apparaît comme un acte de générosité et de foi en la vie puisque qu'elle représente les racines dont elle a été privée.

CX
Non seulement Bernard Giraudeau est de plus en plus instable, impatient, toujours dans l'urgence, toujours en mouvement mais il manifeste dans tout ce qu'il entreprend un perfectionnisme qui confine à la folie furieuse. Goût du défi, de la conquête et du dépassement de soi deviennent une drogue. Il ne conçoit le sport que comme une compétition ou une quête des sommets. Lors d'un de ses raids à Madagascar, il est victime d'une insolation mais refuse d'abandonner pour ne pas pénaliser son équipe. Lors du tournage des Caprices d'un fleuve dont il veut maîtriser tous les aspects, il  est si habité (voire possédé) qu'il se consume littéralement sous les yeux ébahis de l'équipe: "Tu dors pas, tu manges pas, tu pisses pas, tu travailles tout le temps." (Le Marin à l'ancre) "Il avait la fièvre, la fièvre tout le temps." (Richard Bohringer). Ce sont ses amis et ses collaborateurs qui finissent par lui mettre des limites, essuyant parfois ses monstrueuses colères.





CXI
Parmi eux, il établit une relation particulièrement forte voire fusionnelle avec le compositeur, peintre et écrivain chilien Osvaldo Torres, guevariste rescapé de la dictature de Pinochet et réfugié en France. Ils tournent ensemble Un ami chilien en parcourant le pays du nord au sud et Osvaldo compose la musique de nombre d'autres de ses oeuvres cinématographiques et littéraires (en version CD audio). 
Bien qu'ils fonctionnent en miroir l'un de l'autre (la quête du double toujours...), Osvaldo est plus mûr, plus posé. Il lui impose le respect et réussit à percer une brèche dans la muraille qu'il a édifié contre les sentiments. Les histoires personnelles et familiales pleine de romanesque d'Osvaldo illuminent les Dames de nage et Cher amour. De même leur voyage au Chili prend l'allure d'une catharsis. Osvaldo et son frère reviennent sur les lieux où ils ont été torturés et leur parole se libère. A son retour en France, Osvaldo commence une psychothérapie qui est le point de départ de celle que finira par suivre Bernard Giraudeau. 

"Te voilà chez toi, métis, criollo, moitié d'Indien et d'Espagnol, tu chantes tes deux pôles, tes deux moitiés, c'est toi qui m'a dit ça" (Cher amour).  Osvaldo Torres a créé une musique métissée dans laquelle il mélange tradition indienne et tradition espagnole.


CXII
A travers Osvaldo, le personnage d'Amélie des Caprices d'un fleuve ou celui de Thérèse dans la nouvelle Indochine (Les Hommes à terre) Giraudeau règle (expie?) un lourd passif familial avec le racisme, la colonisation et l'esclavage. Il a notamment découvert dans les archives de la Rochelle que certains de ses ancêtres avaient armé des bateaux négriers. Sans parler des guerres coloniales de son père. Toutes les formes d'injustice provoquent chez lui une réaction de révolte épidermique comme ce célèbre passage de Cher amour au sujet de la population survivant dans une décharge de Manille " Il y a des enfants nus, de très jeunes enfants, presque des bébés qui poussent dans la merde des autres, les pieds dans l'ordure et la tête au soleil. Ca ne fait pas rire. C'est irréparable. On y laisse quelque chose de soi, un morceau arraché."
En même temps, il garde l'espoir quelque peu utopique que certains de ces enfants échapperont à la fatalité d'une vie misérable par la grâce d'une bonne rencontre un peu comme ce fut le cas pour lui-même.


Chacabuco, camp de prisonniers politiques de Pinochet filmé dans Un ami chilien

CXIII
En même temps son parcours est marqué par un refus masochiste du plaisir, du bonheur, du succès et de la reconnaissance au travers d'une obsession de la perfection qui confine à l'autopunition permanente. En lui existe un furieux compétiteur qui ne gagne jamais (il n'a remporté aucun prix sauf pour ses deux derniers livres écrits quand il n'était plus en conflit avec lui-même). De même un trop grand succès public au lieu de le combler ouvre des abîmes d'angoisse (celle d'être enfermé, celle d'être à la hauteur ou tout simplement digne de ce succès). 


La maison des esclaves de Gorée à Dakar

CXIV
Le cancer ou plutôt la récidive de ce cancer en 2005 ne change pas fondamentalement les choses mais elle en modifie radicalement l'équilibre. Ce qui était sous-jacent (la quête de sens, la quête de soi) passe au premier plan et s'il accepte enfin de se calmer, de se poser, de s'ouvrir et de se remettre en question, c'est parce que l'approche de la mort pèse désormais de tout son poids sur lui et qu'il lui faut s'y préparer. Sa vie tumultueuse lui en a fait prendre conscience très tôt, son ombre l'a accompagné partout où il allait. La nouveauté c'est qu'au lieu de continuer à fuir en lui tournant le dos, il a décidé de s'arrêter et d'y faire face. Et de faire avant qu'il ne soit trop tard ce voyage intérieur qu'il a fui presque toute sa vie: " La maladie, il le disait, l'avait contraint d'affronter ses contradictions, celles qui l'avaient construit, celles qui le déchiraient et pouvaient le faire souffrir." (Armelle Héliot)

Bernard acquiert la paix de l'âme alors que son corps part en morceaux (on lui retire un rein en 2001, deux côtes en 2007...)


CXV
Ayant pris du recul, il se révèle très lucide sur lui-même et critique ses comportements passés particulièrement dans Les dames de nage et Cher amour:
"Moi qui aimait partir en cherchant la peur comme un baume, comme une excitation délicieuse, un peu mordante, je paniquais devant l'inconnu qui m'habitait. Aucun voyage, aucune fuite ne me révélerait à moi-même. La solution était en moi et je ne savais pas comment y entrer. Je pressentais qu'il fallait ne plus penser, perdre le contrôle, se laisser aller, enfin".
"Ah! Les hommes d'action, les actifs! Comme ils se fatiguent et nous fatiguent pour ne rien faire, et quelle bête de vanité que celle que l'on tire d'une turbulence stérile! Comme il avait raison Gustave [Flaubert]."
" Je suis seul devant le gâchis et l'orgueil responsable, la vie arrêtée nette au bord de l'abîme, la chair au-dedans déchirée." 
Vis à vis de ses proches, il tente de réparer tout ce qui peut encore l'être. Il se rapproche de ses enfants qu'il a parfois négligés et mis sous pression. Il noue un dialogue avec Annie Duperey qui leur permet de véritablement tourner la page. Et ainsi de suite.
Frédérique Tirmont qui l'a croisé deux ans avant sa mort dira "C'était la première fois qu'il me parlait vraiment, qu'il me regardait vraiment, qu'il me demandait comment j'allais vraiment."



CXVI
Dans Cher amour, c'est l'expression des sentiments qui passe au premier plan. 
Dédicacé à une certaine madame T à qui il s'adresse, on comprend assez vite qu'il s'agit de cette femme rêvée qui l'a accompagnée tout au long de sa vie. Sauf qu'elle finit par s'incarner "je n'envisage pas de continuer cette vie tumultueuse sans aimer. Je ne peux pas éternellement écrire à une ombre, sans lui dire, lui parler et ne jamais avoir de réponse." Madame T prend alors les traits d'une femme bien réelle, celle avec laquelle il a passé les dernières années de sa vie (Thora Mahdavi). Cher amour esquisse la réunification entre l'imaginaire et le réel,  la sexualité et les sentiments.
"Je vous aimerai telle que vous êtes, non telle que je vous ai imaginée. Ce sera ma force et ma guérison. Ainsi commence ce jour le vrai voyage de ma vie puisque ce qui fut vécu n'était qu'un rêve effleuré." 
"Il ne faudra pas oublier les gestes, même esquissés, qui disent la tendresse, les gestes si souvent négligés, oubliés comme un repli du coeur. Je serai encore un peu maladroit mais vous allez m'aider mon amour."

"Ce n'est pas un personnage de théâtre qui souhaite avidement vous tenir dans ses bras, c'est un homme nu, sans costume aucun, sans texte appris par coeur, sans mise en scène longuement élaborée qui veut briser tous les miroirs pour découvrir derrière les éclats de sa vie la femme et l'amour qui s'échappent depuis si longtemps, la fiction dans laquelle je vis encore." (Cher amour)

CXVII
17 juin 2010, à l'aube



"Le voyage est une aube qui n'en finit pas. Comme Jim Harrison, je trouve que c'est beau, l'aube, les aubes du monde, à Saint-Petersbourg, au Kenya, au Mexique, partout, que ce soit avec l'éléphant qui boit, les usines qui fument, les Andes poudrées, Paris la brume derrière Belleville. C'est l'aube qui est belle parce qu'elle embellit. C'est l'annonce de l'éblouissement, la naissance de la vie incompréhensible. Tu regardes l'aube, mon amour, non, tu la vis, tu es en elle, tu t'abîmes pour renaître. Le bonheur du voyage, c'est de faire tout pour la première fois." (Cher amour)



CXVIII
La vision panoramique qu'Oscar a d'elle-même,peu de temp avant de mourir.
CXIX
Octobre 2014
Pendant notre séjour à La Rochelle, nous nous rendons sur les lieux qui ont nourri l'imaginaire de Bernard Giraudeau dans son enfance, constatant qu'ils ont été symboliquement détruits les uns après les autres.
En application du code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (une conséquence des attentats du 11 septembre 2001), le port de la Pallice a été clôturé et interdit au public. Il a perdu jusqu'à son nom (n'étant plus relié au quartier de la Pallice il a été rebaptisé "port atlantique").




Le boulevard Emile Delmas, désormais séparé du port s'est dévitalisé (le Sea men's club, nouveau lieu de détente pour les marins se situant dans l'enceinte du port).


L'impasse à laquelle mène aujourd'hui le boulevard

L'inauguration du pont reliant l'île de Ré au continent en 1988 a ouvert une boîte de Pandore. Ne reconnaissant plus le terrain de jeu sauvage de son enfance, défiguré par endroits par les villas de stars et le tourisme de masse, Bernard Giraudeau a fini par revendre la maison qu'il y possédait.


La barrière, le port, le pont.

CXX
Mais il y a toujours moyen de jouer, en se glissant dans les interstices d'un lieu qui vous tourne le dos...








En attendant l'ouverture imminente de la maison du port, un bâtiment H.Q.E (haute qualité environnementale) qui désenclavera l'extrémité du boulevard Delmas et permettra enfin aux Rochelais et aux touristes de revenir contempler le trafic du port. Seulement, ils seront parqués sur une plateforme panoramique de 150 m2 qui permettra de voir de loin mais pas de toucher ou de respirer l'odeur des grumes. Ni de lire leur provenance "Le Libéria? Ca doit être un pays où tout le monde est libre..." (Bernard Giraudeau)




Un balcon sur la mer


CONCLUSION

CXXI
" Il n'y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d'un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l'extrême infortune est apte à ressentir l'extrême félicité. Il faut avoir voulu mourir [...] pour savoir combien il est bon de vivre." (Edmond Dantès)



CXXII
Jacquot de Nantes fait écho à l'un des films les plus célèbres d'Agnès Varda: Cléo de 5 à 7 réalisé trente ans auparavant en 1961: " Pour Jacquot, Agnès retrouve l'état de grâce et d'amertume qui hantait Cléo de 5 à 7 lorsque la mort annoncée vient éclairer d'une même lumière les instants d'aujourd'hui et les heures passées."


Le titre est volontairement équivoque. Moi-même j'ai longtemps cru avant de le voir que Cléo avait un rendez-vous galant alors que le tirage des tarots par la cartomancienne au début du film annonce d'emblée la couleur.


Ce "5 à 7", c'est le temps (filmé en temps réel) qui sépare la séance de tarots du résultat des examens médicaux qui doivent confirmer si oui ou non Cléo est atteinte d'un cancer.

CXXIII
Durant quatre-vingt dix minutes, Cléo va effectuer un parcours dans Paris et un parcours intérieur durant lequel elle va se métamorphoser, passant de la jeune fille frivole obsédée par le reflet du miroir à la jeune femme tournée vers les autres et empreinte de gravité. D'image factice modelée par des fantasmes masculins standardisés, elle devient une personne autonome qui regarde et qui agit.

Cléo, prisonnière du miroir


A mi-chemin du film (45° minute), Cléo arrache sa perruque, enlève son déshabillé et s'en va seule, discrètement vêtue.
 Cléo se découvre anonyme et perdue dans la foule. Le miroir pourvoyeur d'images factices est brisé.

De la rue de Rivoli jusqu'à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, toutes sortes de messages subliminaux disséminés dans la ville lui envoient des signaux qui ravivent son angoisse: "Rivoli deuil", "Bonne santé", "Pompes funèbres", "Boulevard de l'hôpital".



CXXIV
L'un des moments les plus forts du film se situe dans le parc Montsouris. Sous la cascade, elle rencontre Antoine, un soldat permissionnaire sur le point de repartir dans l'enfer de la guerre d'Algérie. Parce qu'ils sont tous deux en danger de mort, les jeunes gens ont des échanges paisibles et dépourvus de tout artifice. Ils se soutiennent mutuellement dans l'épreuve: Antoine accompagne Cléo à l'hôpital puis elle se rend avec lui à la gare. N'étant plus seule, elle n'a plus peur.



CXXV
Cléo révèle alors à Antoine son véritable prénom: Florence. Cléo est le pseudo d'une chanteuse de variétés périssables. Florence renvoie à la Renaissance. Les sculptures comme toutes les oeuvres d'art authentiques gravent pour l'éternité la beauté de ce qui est fragile, éphémère et mortel. Elles sont le fruit d'un vrai regard et non d'un miroir aux alouettes.



CXXVI
Durant la réalisation du film, Agnès Varda avait en tête un tableau d'Hans Baldung Grien intitulé La jeune fille et la mort et dont une reproduction est affichée dans l'appartement de Cléo.


"La lumière ne se comprend que par l'ombre et la vérité suppose l'erreur. Ce sont ces contraires qui peuplent notre vie, lui donnent saveur et enivrement. Nous n'existons qu'en fonction de ce conflit dans la zone où se heurtent le blanc et le noir alors que le blanc ou le noir relèvent de la mort." (Agnès Varda)


CXXVII
En 1993 peu avant de succomber à l'épidémie de sida à seulement 35 ans, le réalisateur français des Nuits Fauves Cyril Collard accorde un entretien où il fait également référence au tableau de Hans Baldung: " C'est d'ailleurs très romantique cette lutte entre l'amour et la mort, Eros et Thanatos. Laura pense que l'amour la préserve du danger, que rien ne peut lui arriver. Cet acte, c'est du romantisme pur et dur, c'est aussi la folle passion de George Sand et de Chopin."
"Les Nuits Fauves sont nés de l'idée d'assembler deux contraires, le sombre et le solaire. Rien n'est jamais noir ou blanc mais noir et blanc."





CXXVIII
Il s'agit bien entendu ici d'une réflexion sur ce qu'est la mort intérieure: la séparation des contraires pour en éliminer le versant indésirable (en version "normale" la mort, le mal, la laideur, la souffrance et l'inverse en version "perverse", les deux allant de pair.)
C'est l'un des axes de réflexion majeur du cycle Harry Potter de JK Rowling dont les versions audio françaises des quatre premiers tomes ont eu Bernard Giraudeau pour narrateur. 
Dès le tome 1, JK Rowling livre sa philosophie à ce sujet au travers d'un paquet de friandises apparemment anodin, les dragées surprise de Bertie Crochue. Si l'on regarde attentivement les goûts proposés, on trouve aussi bien banane, citron, cannelle, noix de coco, cacahuète ou pomme verte que cérumène, crotte de nez, foie et tripes, moutarde, poivre noir, poubelle, savon ou vomi. Toutes les saveurs de l'existence réunies dans un même paquet et impossible de savoir à l'avance ce que l'on mange.

Un risque à chaque bouchée, comme dans la vie réelle

CXXIX
A Poudlard il y a quatre maisons portant le nom de leurs quatre fondateurs (Godric Gryffondor, Helena Serdaigle, Helga Poufsouffle et Salazar Serpentard). La quatrième maison, la maison Serpentard, verdâtre, glauque et souterraine, est clairement identifiée comme étant la maison du mal puisque la plupart des Mangemorts (partisans de Voldemort) et Voldemort lui-même en sont issus.
Le symbole reptilien et la couleur verte si semblable à l'antre d'Edmond d'Une chambre en ville de Jacques Demy
Il serait donc "plus raisonnable de s'en débarrasser. Mais ce serait aller à l'encontre de la philosophie de JK Rowling (...) le mal n'est pas repoussé en tremblant. On ne se contente pas non plus de lui opposer une force courageuse. On le traite avec compassion. A plusieurs reprises, Dumbledore a démontré que des sorciers déchus pouvaient se racheter. Chacun des quatre fondateurs de Poudlard a des qualités qui lui sont propres et qui font partie d'un ensemble équilibré. Même l'ambition de Serpentard peut servir la bonne cause, à condition qu'elle soit équilibrée par les caractéristiques des autres. Cela fait partie de la réalité de chaque individu tout comme Harry a un peu de Voldemort en lui. Essayer de l'éliminer serait aussi dérisoire qu'impossible. " (David Colbert)

Le blason de Poudlard réunit les quatre maisons (Le lion de Gryffondor en rouge, le serpent de Serpentard en vert, le blaireau de Poufsouffle en jaune et l'aigle de Serdaigle en bleu) et celui-ci s'accompagne d'une devise: " Ne chatouillez pas un dragon qui dort."
CXXX
Mon personnage préféré dans Harry Potter est Severus Rogue parce qu'il est à la croisée de tous les chemins. Ancien élève de Serpentard, c'est un ex-Mangemort devenu professeur de potions à Poudlard. Tout semble noir en lui. Il donne ses cours dans un cachot, est vêtu de noir des pieds à la tête, porte la marque des ténèbres sur son bras et emploie vis à vis de la magie noire un ton quasi "amoureux". De plus il déteste Harry et ne rate pas une occasion de l'humilier parce qu'il lui rappelle son père James, son ennemi juré à Poudlard qui lui faisait subir toutes sortes d'humiliations. 


La marque des ténèbres

Sur le bras de Rogue

CXXXI

Mais Rogue est également passionnément amoureux de son amie d'enfance,Lily, la mère de Harry qui symbolise la grâce divine.


Rogue est le premier sur les lieux après le meurtre des parents de Harry par Voldemort. Alan Rickman est absolument parfait dans un rôle dont il connaissait tous les méandres dès le départ (les premiers films sont sortis bien avant la publication de la fin de l'histoire qui se déroule sur 7 volumes).

Il se reproche sa mort (et le fait de ne jamais avoir réussi à lui avouer ses sentiments...) et est prêt pour se racheter et sauver son fils à tous les sacrifices, y compris celui de sa propre vie. "C'est la magie du personnage de Rogue: est-il bon, est-il méchant, est-il héroïque? Il est tout cela à la fois." (Editions Gallimard) ; " Jusqu'à la fin, Rogue a été guidé par deux sentiments opposés, l'amour et la haine, à travers le couple Potter." (Meziane Hammadi); "Qu'en est-il du troisième garçon perdu -après Harry et Voldemort-, cet amalgame complexe d'ombre et de lumière, l'agent double et assassin, le protecteur et l'adversaire?" (William Irwin et Gregory Bassham).
"L'histoire de Severus Rogue est celle d'un personnage torturé et ce depuis l'enfance. Un personnage tiraillé entre l'envie de faire souffrir comme il a souffert et l'envie d'aimer." (Solveig). Effectivement dans les scènes où on le découvre enfant, il manifeste simultanément des pulsions sadiques (envers Pétunia la soeur de Lily) et des élans de générosité pure venus du coeur (envers Lily). Bref, le pire et le meilleur de l'humanité réunis en une seule personne.


Le patronus de Rogue, bouclier de lumière repoussant les forces du mal, représente Lily sous sa forme animale qui est une biche. 

CXXXII
En donnant à l'un de ses fils -celui qui a les yeux de Lily- le prénom de Rogue, Harry accepte implicitement cet héritage, c'est à dire sa double identité de Gryffondor et de Serpentard.

J'aime particulièrement les illustrations de Jean-Claude Götting pour le septième tome (les Reliques de la mort), méditatives à souhait. 
"Rogue est l'un des personnages les plus marquants, les plus poignants de la saga Harry Potter. Il tient une place à part dans nos coeurs à cause de cette complexité, de cette ambiguïté qui le caractérise et surtout, à cause de ses multiples facettes, dont la plus belle et la plus vraie ne nous est révélée qu'au tout dernier moment. Enfin ce héros de l'ombre entre dans la lumière et le sera pour toujours puisqu'il est mort en oeuvrant pour le bien, motivé par un amour plus fort que la mort, plus fort que tout." (Solveig)
La double identité de Rogue (Gryffondor/Serpentard) est inscrite jusque dans son nom. En anglais il se nomme Severus Snape ce qui à une lettre près signifie "serpent" (snake). Mais son anagramme est "Perseus Evans", un héros tueur de serpent qui correspond à sa plus grande qualité, le courage. Quant à Evans, c'est le nom de jeune fille de Lily, le grand amour de sa vie.

Rogue et Lily enfants à Carbone-les-Mines, la ville industrielle où habitent leurs familles. La profonde amitié qui lie Rogue et Lily repose sur leur expérience commune de l'exclusion au sein du monde moldu (non-sorcier), y compris au sein de leur propre famille. Le père moldu de Rogue rejette sa femme et son fils alors que Pétunia, moldue elle aussi traite sa soeur de monstre. Harry fera lui-même cette douloureuse expérience d'isolement et de rejet en étant élevé (ou plutôt maltraité) par Pétunia et son mari après la mort de ses parents.

CXXXIII
JK Rowling aime les personnages oxymoriques. 
En dehors de Rogue, il y a le parrain de Harry, Sirius Black dont le prénom contredit le nom car il s'est révolté contre sa famille d'aristocrates mages noirs de sang-pur et a rejoint les Gryffondor et l'Ordre du Phénix. A cause de son origine il a été accusé à tort de meurtre et a passé 13 ans en prison. Sirius possède cependant aussi des côtés sombres: il traite en esclave les êtres qu'il juge inférieurs à lui, se montre intolérant, impulsif et irréfléchi. 
Son petit frère Regulus à l'inverse est un Mangemort qui finit par se sacrifier par empathie pour l'une des créatures qui servent de domestique aux sorciers et qui est particulièrement maltraitée par Voldemort. 
Le meilleur ami de Sirius, Lupin est un homme doux et affable possédant un démon intérieur qui prend possession de lui tous les mois. 
James le père de Harry est un jeune homme solaire qui prend plaisir à tourmenter les élèves plus faibles que lui. 
Dumbledore a un goût immodéré du pouvoir auquel il a renoncé par sagesse mais au nom de la lutte contre Voldemort, il n'hésite pas à utiliser des techniques dignes de Machiavel (manipulations, mensonges, dissimulation).

La mort de Regulus Black, qui se sacrifie pour venger son elfe de maison et affaiblir Voldemort

Sirius, le parrain de Harry en cavale (Le prisonnier d'Azkaban)



Lupin Jekyll
Lupin Hyde


Le passe-temps favori de James


Les fréquentations sulfureuses du jeune Dumbledore que Harry découvre dans les Reliques de la Mort (ici bras dessus bras dessous avec le mage noir Grindelwald dont il est amoureux). 

CXXXIV
Il n'y a pas un seul monde dans Harry Potter mais plusieurs. Le monde des vivants et le monde des morts, celui des sorciers et celui des moldus, celui des sorciers et celui des autres créatures magiques. Tous ces mondes sont poreux les uns aux autres même s'ils ne se mélangent pas. La présence des morts est perceptible par les sorciers car quelques formes d'interactions limitées sont possibles (fantômes, portraits, pierre de résurrection). Des sorciers sans pouvoirs magiques (les cracmols) vivent dans le monde des moldus comme la voisine de Vernon et Pétunia Dursley, Arabella Figg qui veille sur Harry quand il est chez eux. Beaucoup de manifestations magiques ont lieu dans le monde des moldus mais elles restent invisibles à leurs yeux. Des enfants de moldus se révèlent dotés de pouvoirs magiques et entrent à Poudlard comme Lily et Hermione car depuis la nuit des temps des sorciers épousent des moldus (et vice-versa) ce qui entraîne une transmission génétique du pouvoir magique à leur descendance en sautant parfois plusieurs générations. Des créatures magiques pactisent avec le monde des sorciers comme Dobby, l'elfe de maison, Firenze le centaure ou Graup le géant demi-frère d'Hagrid.

Chaque maison de Poudlard a son fantôme: Le Baron sanglant (Serpentard), Le moine gras (Poufsouffle), Nick quasi-sans-tête (Gryffondor) et la Dame grise (Serdaigle). Le fantôme est un sorcier mort-vivant qui préfère rester en arrière que de s'enfoncer dans les secrets de la Mort. Il revient sous une forme affaiblie là où il a vécu. Très peu de sorciers choisissent cette voie.
Les anciens directeurs de Poudlard ont droit à leur portrait animé dans le bureau directorial après leur mort. 


CXXXV
Pour changer de monde, il faut emprunter un passage (to cross en anglais). La gare moldue de King's Cross à Londres est une plateforme qui contient une voie parallèle, la voie 9 3/4 sur laquelle le Poudlard Express emmène les élèves sorciers jusqu'à l'école de Poudlard. C'est aussi à cet endroit que Harry en état de mort imminente rencontre l'esprit de Dumbledore qui est décédé. Le pub du Chaudron Baveur sur Charing Cross Road permet d'accéder au chemin de Traverse dans lequel se trouve les boutiques et la banque des sorciers. En revanche le voile du département des mystère est à sens unique, de la vie vers la mort. Comme le traverser signifie mourir, il est impossible de revenir en arrière. Mais selon son degré de croyance en l'au-delà, il est possible d'entendre les murmures qui s'élèvent derrière le voile.





CXXXVI
L'univers de Harry Potter est peuplé d'hybrides. Au sens strict un hybride dans l'univers pottérien désigne un humain qui a un parent ou un ancêtre non-humain. Demi-géants comme Hagrid ou Olympe (tous deux issus d'un couple sorcier/géant), Quart de Vélane comme Fleur dont la grand-mère maternelle était l'une de ces créatures fantastiques à la beauté surnaturelle ou Filius Flitwick le directeur de la maison Serdaigle qui a un ancêtre gobelin. Les centaures sont également traités "d'hybrides" par Dolores Ombrage qui ne les supporte pas. Même chose pour Remus Lupin qui a été mordu par un loup-garou et se métamorphose tous les mois à la pleine lune. A ces hybrides s'ajoutent tous les sorciers de sang-mêlés (issus d'un couple sorcier/moldu ou sorcier né-moldu) comme Harry, Rogue et Voldemort.

Pour rester avec leur ami Rémus lorsqu'il devient loup-garou, James Potter et Sirius Black se transforment en animagus (cerf pour James et chien pour Sirius). Alias Lunard, Cornedrue et Patmol.
CXXXVII
Par conséquent le racisme est au coeur de l'histoire. Deux systèmes de valeurs s'affrontent. L'un est portée par le quatrième fondateur de Poudlard, Salazar Serpentar. Il est relayé par Voldemort (qui renie ses origines moldues) et nombre de familles de sorciers au sang pur ou prétendus tels qui gangrènent le ministère de la magie comme Dolorès Ombrage. Il rejette toutes les formes de métissage et souhaite exclure voire éliminer les impurs ("sang-mêlés" et "sang-de-bourbe") ainsi que les hybrides du monde des sorciers. L'autre est portée par les trois autres fondateurs de Poudlard et Dumbledore. Il défend au contraire la diversité au sein de Poudlard et au sein du monde des sorciers.

La fontaine de la fraternité magique située dans l'atrium du ministère de la magie n'a de fraternel que le nom. En réalité il s'agit d'un message idéologique du ministère de la magie destiné à montrer que les sorciers dominent le monde magique et que les autres créatures sont à leurs pieds. Au mépris de la vérité puisque les gobelins et les centaures n'éprouvent que méfiance et ressentiment à leur égard.

Lorsque Voldemort prend le pouvoir sur le ministère de la Magie, l'art devient totalitaire au service de la toute-puissance des sorciers de sang-pur écrasant les moldus (titre de l'oeuvre: "la magie est puissance").


L'ordre du phénix qui combat Voldemort et ses partisans est à l'inverse des plus hétéroclites avec des sang-mêlés, un loup-garou, un voleur, un prisonnier évadé, un demi-géant, un ex-mangemort...
CXXXVIII
Même le bras droit de Dumbledore, directrice de la maison Gryffondor et future directrice de Poudlard est le fruit d'un croisement: " les consonances latines ou grecques se mêlent à bien d'autres langues, sous-langues, allusions...dont la plus brillante est l'identité du grand professeur féminin de Poudlard, Minerva McGonagall! Minerve-Athéna, la plus intellectuelle des déesses antiques, associée à un nom de clan écossais haut en couleurs...donne la mesure du métissage et des courts-circuits culturels et civilisationnels dont Poudlard est le cadre bienveillant. C'est pour la défendre que Harry jette le sort d'Endoloris/Crucio lorsque le Mangemort Amycus Carrow lui crache à la figure. C'est assez rare pour être noté." En effet c'est la seule fois dans l'histoire qu'Harry utilise le sortilège de la torture, l'un des trois sortilèges impardonnables avec Impero (sortilège qui place une personne sous le contrôle d'une autre) et Avada Kedavra (le sortilège qui tue instantanément quiconque le reçoit, l'arme favorite de Voldemort).

C'est Minerva McGonagall qui a rendu Maggie Smith célèbre dans le monde, à juste titre tant cette immense actrice est parfaite dans le rôle.

CXXXIX
Chaque tome marque une étape de l'évolution de Harry vers la maturité. Dans le septième et dernier tome, il acquiert une sagesse et une clairvoyance nouvelle. Jusque là, il s'est toujours comporté en véritable tête brûlée, confondant action et précipitation (avec des conséquences funestes comme la mort de son parrain Sirius). Confronté une fois de plus à la mort d'un proche, il prend cette fois le temps de réfléchir et fait un choix déterminant: " L'énormité de sa décision de renoncer à prendre Voldemort de vitesse pour s'emparer de la baguette avant lui continuait d'effrayer Harry. Il ne se souvenait pas d'avoir jamais choisi dans sa vie de ne pas [en italique dans le texte] agir." C'est par le renoncement à l'emprise, à la volonté de maîtrise, par le lâcher-prise que Harry prend le dessus sur Voldemort et non par des actes héroïques et glorieux.

"Il regarda l'océan et sentit, en cet instant où l'aube se levait, qu'il se rapprochait du but, que la clé de tout était plus près de lui" (Les Reliques de la Mort)
CXL
Ce choix sauve Harry moralement car il lui permet d'échapper à l'impossible alternative que lui prédestine la prophétie : bourreau ou victime. Même face au pire des traîtres ou des assassins, Harry refuse d'utiliser le troisième sortilège impardonnable pour tuer. Lorsque Voldemort tente à l'inverse de tuer Harry avec la baguette volée dans la tombe de Dumbledore, le sort se retourne contre lui et le tue. La baguette dont s'est emparé Voldemort refuse en effet de lui obéir car elle reconnaît en Harry celui qui a désarmé son ancien propriétaire (Drago qui avait lui-même désarmé Dumbledore). Sans l'avoir jamais possédée, ni même touchée, Harry s'en est rendu le maître. La véritable puissance magique procède de la non-violence.

La baguette de sureau, la plus puissante baguette de tous les temps et l'une des trois reliques de la mort n'est pas qu'un objet de convoitises. Elle est aussi, comme les autres baguettes un sujet qui choisit son sorcier. Elle n'accepte de changer d'allégeance qu'à la condition que son nouveau propriétaire puisse désarmer l'ancien (lui enlever la baguette des mains en lui jetant un sort). 


CXLI
"Tous mes personnages sont définis par leur comportement face à la mort et la possibilité de mourir. Voldemort est terrifié par la mort, il est prêt à tout pour l'éviter, il fuit devant la mort. Pour Dumbledore, la mort n'est qu'une grande aventure de plus. Harry finit par accepter que la mort est un destin naturel et inéluctable. Il refuse l'immortalité que pouvait lui offrir la possession des trois reliques." (JK Rowling)

"Tu crois donc que les morts que nous avons aimés nous quittent vraiment? Tu crois que nous ne nous souvenons pas d'eux plus clairement que jamais lorsque nous sommes dans la détresse? Ton père vit en toi, Harry, et il se montre davantage lorsque tu as besoin de lui." (Le prisonnier d'Azkaban)

 


LISTE (NON EXHAUSTIVE) DES COUPLES DE CONTRAIRES

" Le bonheur, c'est d'accepter la contradiction" (Agnès Varda)


- Passion/ Bonheur
- Mortalité/ Immortalité
- Ascèse/ Débauche
- Vie/ Mort
- Rêve/ Réalité
- Beauté/ Laideur
- Blanc/ Noir
- Bien/ Mal
- Joie/ Souffrance
- Masculin/ Féminin
- Hétérosexualité/ Homosexualité
- Paradis/ Enfer
- Santé/ Maladie
- Ici/ Ailleurs
- Endogamie/ Exogamie
- Inceste/ Métissage
- Le même /L'autre
- Dedans/ Dehors
- Lumière/ Ombre
- Raison/ Folie
- Vérité/ Mensonge
- Actif/ Passif
- Contrôle/ Lâcher-prise
- Associé/Dissocié
- Création/ Destruction
- Unité/ Dualité
- Amour/Haine
- Jeune/ Vieux
- Paisible/ Tourmenté
- Bon/ Mauvais
- Héros/ Anti-Héros
- Gryffondor/Serpentard


BIBLIOGRAPHIE

- JACQUES DEMY

Jean-Pierre Berthomé, Jacques Demy et les racines du rêve, l'Atalante, 1982, édition augmentée de 1996

Camille Taboulay, Le cinéma enchanté de Jacques Demy, les Cahiers du cinéma, 1996

Olivier Père et Marie Colmant, Jacques Demy, éditions de la Martinière, 2010

Le monde enchanté de Jacques Demy,catalogue de l'exposition du même nom à la cinémathèque française du 10 avril au 4 août 2013

Jacques Demy l'enchanteur, hors-série les Inrocks 2013

Jacques Demy le puritain malicieux, Critikat.com, 9 avril 2013

-AGNES VARDA

Varda par Agnès, éditions Cahiers du cinéma et Ciné-Tamaris, 1994

-BERNARD GIRAUDEAU

Bernard Giraudeau, Le Marin à l'ancre, éditions Métailié, 2001

Bernard Giraudeau, Les Hommes à terre, éditions Métailié, 2004

Bernard Giraudeau, Les dames de nage, éditions Métailié, 2007

Bernard Giraudeau, Cher amour, éditions Métailié, 2009

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Bertrand Tessier, Bernard Giraudeau, le baroudeur romantique, l'Archipel, 2011

Andrée Chedid, L'Autre, Flammarion, collection J'ai lu, 1969

-ETTORE SCOLA

Catherine Brunet, Le monde d'Ettore Scola, la famille, la politique, l'histoire, l'Harmattan, 2012

Iginio Ugo Tarchetti, Fosca, les éditions du Sonneur, 2009

-HARRY POTTER

JK Rowling, Harry Potter, tomes 1 à 7, Gallimard, 1998 (tome 1), 1999 (tomes 2 et 3), 2001 (tome 4), 2003 (tome 5), 2005 (tome 6), 2007 (tome 7)

David Colbert, Les mondes magiques de Harry Potter, le Pré aux clercs, 2001, nouvelle édition augmentée de 2007

Méziane Hammadi, Les messages cachés de Harry Potter, éditions Alphée, Jean-Paul Bertrand, 2008

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Isabelle-Rachel Casta, Petrificus Totalus! Langue du sacré, langue du secret, l'Antiquité dans l'imaginaire contemporain, Classiques Garnier, 2014, pp 359-374.

solveigboissay.blogspot.com/.../severus-snape-entre-lumiere-et-tenebres

-LADY OSCAR

Anime Comics tomes 9 à 12, Chuko Comic Souris, 1994